Union Européenne
L’accès au marché européen pour l’intermédiaire financier suisse avant le vote final sur la MiFID 2
Olivier Depierre
Le 19 février dernier, le Comité des représentants permanents de l’Union européenne (COREPER) a rendu public les textes de compromis de la future MiFID 2 issus des derniers trilogues de janvier, dont on rappellera ici qu’il s’agit de réunions informelles et confidentielles de procédure législative auxquelles participent des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission. Le vote final devrait se tenir à Strasbourg, au cours de la dernière séance plénière précédant les élections européennes, du 14 au 17 avril prochain. Des modifications de dernière minute sont certes toujours possibles. Cela étant, la plupart des accords obtenus en trilogues ont entraîné – conformément à leur objectif – l’adoption des textes en l’état lors d’une seule lecture en plénière. Mais la prudence ne sera pas de trop dans la prise en compte des règles exposées ci-après.
S’agissant de la clientèle retail et des clients pouvant, sur demande, être traités de professionnels (Annexe II § II de la directive), le nouvel art. 41 ch. 1 MiFID 2 prévoit qu’un Etat membre puisse exiger qu’une entreprise d’investissement d’un pays tiers établisse une succursale dans le pays dans lequel elle souhaite offrir des services ou déployer des activités, avec ou sans services auxiliaires (Annexe I Section B de la directive). Lorsqu’un Etat membre déciderait d’exiger cette succursale, il exigerait alors également d’elle qu’elle obtienne un agrément préalable de ses autorités compétentes (art. 41 ch. 2 MiFID 2), agrément qu’elle n’obtiendra toutefois qu’en remplissant toutes les autres conditions de cette disposition, à savoir (les modifications issues des trilogues sont indiquées en italique gras et proposées en traduction libre de l’anglais) :
1. l’activité souhaitée est déjà sujette à agrément et à surveillance dans le pays tiers, pays dans lequel l’entreprise est dûment agréée, en tenant particulièrement compte de toutes les recommandations du GAFI ayant trait au blanchiment de capitaux et à la lutte contre le financement du terrorisme. Avant l’entrée en vigueur de la LSFin, les intermédiaires non encore assujettis à surveillance n’ont donc aucun droit à l’établissement d’une succursale sur le territoire d’un Etat membre ;
2. des « mécanismes de coopération », prévoyant notamment des dispositions concernant les échanges d’informations en vue de préserver l’intégrité du marché et de protéger les investisseurs, sont en place entre les autorités compétentes de l’État membre dans lequel la succursale doit être établie et les autorités de surveillance compétentes du pays tiers. A ce jour, certes, le MROS échange déjà des informations avec les autres CRF étrangères ; la FINMA a bien signé une convention bilatérale de coopération avec dix Etats de l’UE ainsi que le Multilateral Memorandum of Understanding (MMoU) de l’IOSCO (International Organization of Securities Commissions), lequel a également été signé par les autorités boursières des 28 pays de l’UE. Toutefois, cette exigence ne fait référence à aucun accord particulier. Il est donc toujours à craindre que des réglementations de niveau 2 ou 3 ne viennent exiger d’autres mécanismes de coopération avec les Etats tiers, retardant ainsi d’autant l’agrément d’une succursale ;
3. la succursale doit pouvoir librement disposer d’un capital initial suffisant (fixé par la nouvelle directive 2013/36/UE), chose étrange considérée du point de vue du droit suisse. Or, cette succursale est définie comme un « siège d’exploitation qui constitue une partie dépourvue de personnalité juridique d’un établissement et qui effectue directement, en tout ou en partie, les opérations inhérentes à l’activité d’établissement » (art. 4 § 1, ch. 16 du règlement UE/575/2013), à savoir « un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement » (ibid. ch. 3). L’absence de personnalité juridique de la succursale n’exclut donc pas qu’elle doive être dotée d’un capital. Et la question de savoir si cette dernière vaudra passeport européen dans l’ensemble de l’UE doit être tranchée par la négative, les dispositions relatives au passeport pour les entreprises des Etats membres (art. 36 et 37 MiFID 2) n’étant pas reprises dans les règles applicables aux Etats tiers ;
4. une ou plusieurs personnes ont [déjà] été nommées responsables de la gestion de la succursale et doivent toutes satisfaire aux conditions de l’art. 9 ch. 1 MiFID 2, à savoir les conditions d’une approche européenne de la notion de garantie de l’activité irréprochable ;
5. le pays tiers a signé avec l’Etat membre dans lequel la succursale doit être établie une convention parfaitement conforme à l’article 26 du modèle OCDE de convention fiscale concernant le revenu et la fortune (autorisant, depuis 2012, les demandes groupées) et garantissant un échange efficace de renseignements en matière fiscale, y compris, cas échéant, des accords multilatéraux dans ce domaine. A ce jour, 20 CDI avec ce standard sont en vigueur entre la Suisse et des Etats membres sur les 28 Etats de l’UE ;
6. l’entreprise mère a d’ores et déjà adhéré à un système d’indemnisation des investisseurs, agréé ou reconnu conforme à la directive 97/9/CE. Cette directive, actuellement en phase d’alignement sur la MiFID 2, pourrait prévoir une couverture obligatoire de EUR 50’000.- par investisseur en cas d’impossibilité pour l’entreprise de lui restituer ses titres. La Suisse ne connaît pas cette forme d’assurance (mais uniquement la garantie des dépôts en numéraire, cf. art. 37b al. 1 LB). Il est donc à craindre qu’une telle institution ne doive être mise en place à la hâte, sans que la Suisse ne s’y soit vraiment préparée du fait de la modification en cours d’une directive tierce antérieure.
Certes, les contreparties éligibles n’auront pas besoin de constituer une succursale, mais devront cependant s’inscrire auprès de l’ESMA et obtenir une reconnaissance de leur réglementation nationale. De même, aucune succursale ne sera exigée dans les cas de réelles reverse sollicitation d’un client européen privé (ou professionnel au sens de la Section II de l’Annexe II) entamant de sa seule et exclusive initiative l’octroi par un établissement d’un Etat tiers d’un service d’investissement (nouvel art. 44a MiFID 2). Enfin, relevons, cet ajout des trilogues à l’art. 43 ch. 2 § 2 MiFID 2 : [les Etats membres] ne traitent pas plus favorablement une succursale d’un Etat tiers que les entreprises de l’Union.