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Real estate asset swap

Une restructuration fiscalement neutre propre aux institutions de prévoyance

Dans un arrêt 2C_380/2021 du 28 février 2022, destiné à publication, le Tribunal fédéral examine un cas de transfert de plusieurs biens immobiliers d’une institution de prévoyance professionnelle à une fondation d’investissement dont les investisseurs sont exclusivement composés d’institutions de prévoyance.

Une institution de prévoyance détient un parc immobilier important, notamment dans le canton de Zurich. Elle souhaite transférer son parc immobilier à une fondation de placement – elle aussi consacrée à la prévoyance professionnelle – contre des droits de participations dans les avoirs de la fondation. Précisons que l’opération est structurée sous forme de transfert de patrimoine (art. 98 LFus) et à la valeur vénale (valeur de marché).

Ce transfert doit permettre à l’institution de prévoyance de gagner en efficience, d’optimiser au titre opérationnel ses placements et ainsi ultimement améliorer ses rendements. Cela permet par ailleurs à l’institution de prévoyance de réduire son risque en élargissant ses investissements. En pratique, on parle de « real estate asset swap » ou « Immobilien Asset Swap  » (« asset swap »).

L’administration fiscale zurichoise considère que le transfert des biens immobiliers à Zurich pour un total d’environ CHF 18 millions justifie le prélèvement de l’impôt sur les gains immobiliers. L’institution de prévoyance va néanmoins de l’avant et porte l’affaire devant le Steuerrekursgericht qui lui donne raison, amenant le fisc zurichois à porter le cas sans succès devant le Verwaltungsgericht puis au Tribunal fédéral.

La question que doit trancher le Tribunal fédéral est la possibilité pour une institution de prévoyance de se restructurer de manière fiscalement neutre – en particulier d’obtenir le différé de l’impôt sur les gains immobiliers au sens de l’art. 12 al. 4 lit. a LHID – dans le cadre d’une opération d’asset swap et ce, sur la base de l’art. 80 al. 4 LPP, indépendamment d’un cas de restructuration fiscalement neutre au sens des art. 24 al. 3 et 3quater LHID.

Dans son analyse, le Tribunal fédéral revient notamment sur les points suivants :

  • L’art. 24 al. 3 et 3quater LHID n’est pas monopolistique dans la liste des opérations qui peuvent être réalisées de manière fiscalement neutre.
  • Les institutions de prévoyance bénéficient d’avantages fiscaux particuliers dès lors que leurs fonds sont exclusivement affectés à la prévoyance (art. 80 al. 2 LPP). Il en résulte que, pour qu’une opération puisse être réalisée de manière fiscalement neutre, il est impératif que les avoirs transférés par l’institution de prévoyance continuent d’être affectés irrévocablement à la prévoyance des assurés. Elle est remplie en l’espèce, puisque la fondation de placement est elle aussi exclusivement consacrée à la prévoyance professionnelle.
  • L’art. 80 al. 4 2ème phrase LPP prévoit que « [l]es bénéfi­ces qui résultent de la fusion ou de la division d’institutions de prévoyance ne sont pas imposables ». L’expression « bénéfices » inclut les bénéfices immobiliers. La notion de division doit quant à elle être interprétée. Pour les juges de Mon-Repos, il s’agit du transfert du patrimoine à un autre sujet avec la reprise des droits patrimoniaux ou sociétaux dans cet autre sujet (dans l’esprit de ce que prévoit l’art. 29 let. b LFus). Cette condition est remplie en l’espèce puisque l’institution de prévoyance détient, après l’opération, des droits sur la fondation de placement.
  • Une opération de division au sens de l’art. 80 al. 4 LPP ne doit pas résulter en une simple vente et le réinvestissement du bénéfice de cette vente dans d’autres actifs de placements. Après le transfert, les actifs transférés doivent continuer à servir indirectement le même cercle d’assurés. Autrement dit, une institution de prévoyance qui vend simplement ses immeubles à une autre institution de prévoyance ou à un tiers ne peut pas bénéficier des règles de la division.
  • Dès lors que l’ensemble des conditions posées par l’art. 80 al. 4 LPP sont remplies en l’espèce, le Tribunal fédéral confirme la décision zurichoise selon laquelle le gain immobilier doit être différé au sens de l’art. 12 al. 4 lit. a LHID.

Cet arrêt doit à notre sens être salué dès lors que, comme l’a souligné le Tribunal fédéral, la volonté du législateur n’était pas de rendre les opérations de restructurations d’institution de prévoyance – telles que l’asset swap – plus difficiles à cause de conséquences fiscales. L’arrêt appelle quelques commentaires :

  • Le mécanisme de différé d’impôt sur les gains immobiliers au sens de l’art. 12 al. 4 lit. a LHID est un différé proprement dit (pas de mécanisme de step-up).
  • Le Tribunal fédéral applique explicitement les règles du différé propre à l’impôt sur les gains immobiliers (régime moniste) prévu à l’art. 12 al. 4 LHID et non les règles du régime dualiste. Ceci pourrait remettre en cause la pratique cantonale genevoise de soumettre le gain immobilier réalisé par des institutions de prévoyance à l’impôt sur le bénéfice (régime dualiste).
  • Quid des droits de mutation ? Ce point est laissé ouvert par le Tribunal fédéral, qui le mentionne sans revenir en détail dessus. À notre sens, ces droits ne doivent pas pouvoir être prélevés dans un cas reconnu de division. S’il est vrai que l’art. 103 LFus ne renvoie qu’aux art. 8 al. 3 et 4, et 24 al. 3 et 3quater LHID et pas explicitement à l’art. 80 al. 4 LPP, c’est également le cas pour l’art. 12 al. 4 lit. a LHID. Or dans l’arrêt commenté, le Tribunal fédéral interprète la dernière disposition citée comme renvoyant à l’ensemble des opérations pouvant être réalisées de manière fiscalement neutre, dont les cas prévus par l’art. 80 al. 4 LPP.
  • Enfin, le Tribunal fédéral mentionne qu’une division peut être partielle, sans pour autant préciser d’éventuelles conditions supplémentaires. Cela laisse ainsi entendre qu’une institution de prévoyance pourrait transférer en neutralité fiscale une partie seulement de ses bien immobiliers à une fondation de placement tout en conservant d’autres placements. Il aurait été souhaitable que le Tribunal fédéral précise si ce transfert devait représenter une part minimale des actifs de l’institution de prévoyance et il conviendra de rester attentif sur ce point.