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LVMH c. Morgan Stanley : Responsabilité des analystes financiers en France

Le 12 janvier 2004, le Tribunal de Commerce de Paris a rendu son jugement dans l’affaire opposant la société LVMH à la banque d’affaires Morgan Stanley.
LVMH avait assigné Morgan Stanley en paiement de €100mio à titre de dommages-intérêts. Elle alléguait que les rapports d’analyse de Morgan Stanley étaient systématiquement défavorables à LVMH et favorables à Gucci, avec laquelle la banque entretenait des rapports d’affaires. LVMH estimait ainsi que Morgan Stanley avait manqué à ses devoirs, trompé la confiance de LVMH et des investisseurs, nui à LVMH et favorisé son client Gucci. Les atteintes invoquées concernaient l’image, le crédit et le cours boursier du groupe LVMH.
Sur la base de l’article 1382 du Code civil français, le Tribunal de Commerce a admis la responsabilité délictuelle de Morgan Stanley. Il a constaté que la banque s’était rendue coupable d’une faute lourde ayant causé un préjudice considérable tant moral que matériel à LVMH. Il a condamné Morgan Stanley à payer €30mio à titre de réparation de son préjudice moral, condamnation assortie de l’exécution provisoire. Quant aux préjudices matériels subis par LVMH (résultant de la décote préconisée par Morgan Stanley et des coûts engagés par LVMH pour la défense de son image), ils ont été réservés par le Tribunal et un expert mandaté. Enfin, le Tribunal a ordonné la publication de son jugement (sans exécution provisoire), en particulier dans le rapport hebdomadaire sur le secteur du luxe émanant du service d’analyse financière de Morgan Stanley.
Sur la question de la faute, et en se fondant largement sur les investigations de la SEC et du procureur général de New York, le jugement tient pour constant que la structure de Morgan Stanley ne comportait pas de séparation stricte entre les services d’investissement et ceux d’analyse financière. La banque d’affaires se voit imputer une multiplicité de fautes valorisant Gucci au détriment de LVMH, fautes d’autant plus graves que Morgan Stanley laissait faussement entendre qu’il existait des liens entre elle-même et LVMH. Les reproches concernent également l’indication de ratios d’endettement de LVMH ne correspondant plus à la réalité. Ainsi, pour le Tribunal, la banque a manqué gravement et à de multiples reprises à ses devoirs d’indépendance, d’impartialité et de rigueur et s’est rendue coupable de dénigrement à l’encontre de LVMH.
Au chapitre de la causalité, le Tribunal a retenu que l’opinion et les analyses d’une banque telle que la défenderesse ont nécessairement un impact sur une société telle que la demanderesse. Il a en outre souligné la vulnérabilité particulière d’une société du secteur du luxe aux atteintes à son image de marque.
Morgan Stanley a annoncé un appel. Le jugement peut être commandé en ligne auprès du Tribunal de Commerce de Paris (Répertoire général no 2002/093985).