La saga se ramifie
Refus de l’assistance administrative à la Russie

Maria Ludwiczak Glassey
Dans un arrêt 2C_219/2022 du 30 janvier 2025, destiné à la publication, le Tribunal fédéral (TF) rejette une demande d’assistance administrative en matière fiscale présentée par la Russie. La procédure devant le TF était suspendue depuis 2022.
La Russie avait adressé une demande d’assistance à l’Administration fédérale des contributions (AFC) en 2018 afin d’identifier les bénéficiaires économiques de dividendes versés à des sociétés chypriotes sur trois comptes bancaires ouverts en Suisse et, le cas échéant, de réévaluer le montant d’impôt à la source dû par une des sociétés impliquées. L’AFC avait rendu une décision favorable, confirmée pour l’essentiel par le Tribunal administratif fédéral et attaquée au début de l’année 2022 devant le TF. Au vu des évènements survenus en Ukraine et du communiqué de presse du Conseil fédéral de septembre 2022, le TF a suspendu la procédure, d’abord pour une durée de quatre mois, puis pour une durée indéterminée.
Le TF entre en matière sur le recours : il s’agit d’un cas particulièrement important puisque « la question de savoir si, dans le contexte actuel, l’échange de renseignements fiscaux avec la Russie est admissible, en particulier lorsqu’il implique, comme en l’espèce, la transmission de renseignements concernant des personnes de nationalité ukrainienne, est particulièrement importante pour la pratique » (c. 1.1.2).
Le TF décide ensuite que l’assistance ne doit pas être accordée à la Russie, parce qu’elle serait contraire à l’ordre public. S’agissant de la Suisse, en font partie les garanties minimales de la CEDH et le respect de l’État de droit (c. 7.3). Par ailleurs, il pourrait y avoir une atteinte au principe de la spécialité, impliquant « non seulement que l’État requérant est tenu de garder secrets les renseignements qu’il reçoit et qu’il ne peut les utiliser à d’autres fins qu’à des fins fiscales […], mais également qu’il ne peut pas les utiliser à l’encontre d’autres personnes que celles qui sont visées par la demande » (c. 7.4).
Le TF se réfère par ailleurs à la réponse donnée en matière d’entraide pénale, où la coopération n’est plus accordée (c. 8.1), sans toutefois s’aligner : face au choix de suspendre à nouveau ou refuser l’assistance, alors que la Ire Cour de droit public a penché pour la première option en 2023 (ATF 149 IV 144) et 2024 (ATF 150 IV 201), la IIe Cour de droit public opte pour la seconde. Cela se justifie d’après le TF puisqu’une suspension n’est envisageable qu’en présence d’une situation limitée dans le temps. Or, « la situation actuelle ne permet pas de penser que la situation va évoluer dans un avenir prévisible. Il convient dès lors d’en tirer les conséquences et de ne pas opter pour une nouvelle suspension de la procédure pour une période dont on ne saurait évaluer le terme » (c. 8.3). Le cas n’est pas comparable à celui des ATF 149 IV 144 et ATF 150 IV 201 puisque « [c]ontrairement à des fonds bloqués dont la personne concernée demanderait la libération, de sorte que lui donner raison aboutirait à une décision irréversible […], la présente procédure ne porte que sur une mesure ponctuelle qui concerne la transmission de renseignements bancaires. L’admission du recours et le rejet de la demande d’assistance qui en découle ne reviennent donc pas à mettre fin à une mesure durable qui ne pourrait être rétablie ultérieurement » (c. 8.3). Le refus de l’assistance n’empêche par ailleurs pas la Russie de déposer une nouvelle demande.
L’arrêt apporte des clarifications bienvenues s’agissant de la notion d’ordre public. De plus, il confirme que la coopération ne doit pas être accordée, en l’état, à la Russie. S’agissant du principe de spécialité, le TF décide que le non-respect des droits fondamentaux engendre un risque de violation dudit principe, rendant à son tour la coopération incompatible avec l’ordre public suisse (bien que la formulation me semble contradictoire, quant à la relation de cause à effet : « Or, l’absence de garanties procédurales dans l’État requérant peut conduire au constat que le principe de la spécialité aboutira à une situation contraire à l’ordre public » et « En ce sens, il peut donc y avoir à la fois atteinte à l’ordre public et au principe de la spécialité », c. 7.4). À tout le moins, il s’agit d’une construction jurisprudentielle nouvelle, que les plaideurs avisés ne manqueront pas de reprendre.
Concernant la condition permettant de choisir entre suspension et rejet, i.e. l’existence de perspectives concrètes permettant de prévoir que la situation dans l’État requérant va évoluer dans un avenir prévisible, le TF décide ici qu’elle s’applique également en matière d’entraide pénale (ce qui ne ressortait pas de l’ATF 150 IV 201, c. 2.2). De plus, il précise qu’elle doit être analysée plus souplement lorsque des fonds ont été saisis, dont la levée, découlant d’un refus de coopérer, serait irréversible. Sur ce point, l’arrêt me laisse perplexe. D’une part, lorsque la demande n’implique aucune mesure provisoire, suspension et refus ont les mêmes effets concrets. D’autre part, à mon sens, l’analyse doit être plus stricte lorsque la procédure de coopération implique une restriction des droits fondamentaux, comme c’est le cas d’une saisie. En tout état de cause, s’agissant d’une mesure provisoire fondée sur l’art. 18 EIMP, elle ne peut être maintenue que si la mesure principale, i.e. la remise des fonds, est possible, ce qui n’est pas le cas en l’état lorsque la demande provient de la Russie.