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Violation du devoir de confidentialité

La banque a (partiellement) prouvé le dommage causé

Le CEO qui divulgue des informations confidentielles à un journaliste doit dédommager son employeur du dommage causé, in casu les frais de l’agence de communication. Le fait que d’autres articles de presse aient été publiés auparavant ne permet pas de nier l’existence du lien de causalité (4A_159/2024).

Une société d’un groupe bancaire et financier portugais licencie son CEO. Elle attire son attention sur le maintien de son secret professionnel. Quelques années plus tard, le groupe fait l’objet de rumeurs sur sa solvabilité. Un journaliste contacte l’ancien CEO, lequel divulgue des informations confidentielles. Divers articles du journaliste sont publiés au sujet du groupe. Afin de défendre sa réputation, le groupe mandate une agence de communication en Suisse et au Portugal.

Le groupe obtient en Suisse des mesures superprovisionnelles puis provisionnelles à l’encontre du CEO, afin en particulier qu’il cesse de communiquer des informations et qu’il dépose au greffe du tribunal les documents confidentiels en sa possession. Au fond, le groupe demande également des dommages-intérêts à hauteur d’environ CHF 100’000.- en raison des frais de l’agence de communication. La Chambre patrimoniale cantonale du canton de Vaud admet la demande de dédommagement, mais le Tribunal cantonal vaudois la rejette sur appel du CEO (HC/2023/890). Le Tribunal cantonal considère que la réputation de la société était déjà gravement atteinte avant la publication des articles du journaliste. Dès lors, il n’existerait pas de relation de causalité entre le dommage invoqué et la violation par le CEO de son devoir de confidentialité.

En vertu de l’art. 321e CO, le travailleur répond du dommage qu’il cause à l’employeur intentionnellement ou par négligence. Les quatre conditions classiques de responsabilité doivent ainsi être remplies. En l’espèce, le CEO a violé ses devoirs de fidélité et de confidentialité auxquels il était tenu en tant qu’employé et administrateur de la société (art. 321a al. 4 CO cum 717 CO).

Concernant la causalité, le Tribunal fédéral considère que l’appréciation cantonale est arbitraire. En effet, à la suite de l’analyse chronologique de divers articles de presse concernant la banque, il retient que les articles parus grâce aux informations du CEO étaient particulièrement denses, contenaient de nombreux détails et avaient une fiabilité accrue en raison de leur source, à savoir un ancien cadre d’une société du groupe. Le groupe devait éventuellement réagir à chaque nouvelle parution d’article pour se défendre. Il a ainsi dû mandater une agence de communication. Partant, la causalité naturelle est donnée. Concernant la causalité adéquate, le Tribunal fédéral retient qu’il est incontestable que les informations révélées par le CEO étaient propres à provoquer une atteinte réputationnelle et à entraîner des frais pour pallier cette atteinte.

Enfin, concernant le dommage, les agences de communication ont été précisément mandatées pour gérer la crise médiatique provoquée par le journaliste. Cela étant, la société n’a pas suffisamment précisé les périodes concernées de certaines factures produites. Elle ne peut donc invoquer l’art. 42 al. 2 CO pour pallier l’absence de preuve du dommage. Les autres factures sont suffisamment précises. Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et condamne l’employé à payer à la banque environ CHF 30’000.-.

Cet arrêt constitue l’un des rares cas de réparation du dommage réputationnel. Lorsqu’un auteur porte atteinte à la réputation d’une personne, cette dernière peine souvent à prouver la causalité et le dommage invoqué. Le cas d’espèce illustre l’exception. Le groupe a ainsi pu prouver le dommage causé, notamment car le CEO avait admis la divulgation d’informations confidentielles et que le journaliste avait publié des articles détaillés dans un média reconnu. Le Tribunal cantonal vaudois avait étrangement nié la causalité. Il estimait, à tort, que les frais de l’agence devaient n’être « imputables qu’aux déclarations » du CEO afin de pouvoir être remboursés. Cela ne correspond cependant pas à la condition de causalité. En effet, « [l]orsque plusieurs personnes ont eu chacune de leur côté un comportement qui est à l’origine du même dommage, (…) [le lésé] peut s’en prendre indifféremment à l’un ou à l’autre de ces responsables ou à tous et réclamer à chacun la réparation de l’entier de son dommage » (c. 5.1.2). En l’espèce, le Tribunal fédéral considère à juste titre « parfaitement dans l’ordre des choses » que le groupe devait « réagir à chaque nouvelle parution pour défendre sa réputation » (c. 5.2).

Concernant la contestation du dommage, le Tribunal cantonal vaudois avait considéré que la détermination « rapport soit aux pièces » du CEO ne valait pas admission du fait allégué. Le Tribunal fédéral le corrige à nouveau. Il considère qu’une telle détermination « énigmatique » ne constitue pas « une contestation pure et simple » (c. 6.2.1).

Enfin, le Tribunal fédéral considère que la preuve facilitée du dommage, prévue par l’art. 42 al. 2 CO, « n’est pas là pour pallier les carences qui affectent les documents que [le groupe] a produits » dans la procédure (c. 6.2.2). Cette appréciation est convaincante in casu. Cela étant, dans d’autres situations, le Tribunal fédéral reste trop réticent quant à l’application de cette disposition, alors que la preuve stricte du dommage n’est pas réalisable (cf. Thévenoz/Hirsch, Le pouvoir du juge d’apprécier le dommage d’investissement (art. 42 al. 2 CO) ).