Responsabilité de la banque
Vente d’options put sur actions russes, une chute qui coûte cher
Laurent Hirsch
L’action judiciaire d’une cliente est rejetée faute d’avoir suffisamment allégué le scénario hypothétique du déroulement des opérations qui serait intervenu si la banque avait agi d’une manière conforme à ses obligations contractuelles. Elle agissait contre sa banque suisse pour réclamer le remboursement d’une perte résultant de la vente d’options sur des actions russes (4A_657/2024 du 1er septembre 2025).
Une société des Bahamas avait en novembre 2021 vendu des actions put sur des certificats ADR (American Depository Receipts) d’actions d’une société russe, au prix d’exercice de USD 9 avec une échéance à mi-mars 2022, encaissant un prix de vente de USD 60’000 environ. Alors que le prix de ces certificats ADR était supérieur à USD 9 en novembre 2021, il a baissé à USD 0.60 en mars 2022, à la suite des hostilités militaires en Ukraine et aux sanctions européennes à l’encontre de la Russie. La cotation de ces certificats ADR ayant été suspendue, Eurex, la bourse européenne auprès de laquelle les options étaient négociées, a décidé d’une liquidation en espèces des options ouvertes, impliquant un paiement de USD 842’000 pour solder les options put de la cliente.
La banque avait procédé à la vente de ces options put en son nom, mais pour le compte de la cliente, à titre fiduciaire. La banque a ainsi réglé à Eurex le montant réclamé de USD 842’000, qu’elle a débité du compte de la cliente. La cliente n’a pas accepté cette opération, considérant que la banque aurait dû vérifier plus attentivement la conformité au contrat (de vente d’options) et à la réglementation boursière de la liquidation en espèces de ces options put.
La cliente a agi en dommages-intérêts contre la banque. Le Handelsgericht zurichois a qualifié la relation bancaire de mandat et le contrat relatif à ces options de contrat de commission. Le Handelsgericht zurichois a rejeté l’action, considérant que ni le dommage ni la causalité n’étaient suffisamment démontrés. Le Tribunal fédéral rejette le recours, en procédant à une analyse différente de celle du Handelsgericht zurichois.
S’agissant du dommage, le Handelsgericht zurichois avait considéré que l’opération de débit des USD 842’000 ne faisait que concrétiser une dette qui était déjà virtuellement existante dès la vente des options put, de sorte que ce débit ne correspondait pas à un dommage. Le Tribunal fédéral écarte cet argument, compte tenu des contestations de la cliente sur la manière de dénouer l’opération. Le Handelsgericht n’avait en effet pas encore tranché les questions de la validité de principe d’une liquidation en espèces et du moment (antérieur à l’échéance de l’exercice des options ?) auquel une telle liquidation aurait pu être opérée. A ce stade, il n’était ainsi pas possible d’exclure que le débit de USD 842’000 ait pu constituer un dommage (par rapport à un scénario hypothétique indéterminé).
S’agissant de la causalité, le Handelsgericht zurichois avait considéré que la perte avait été causée par la baisse de cours suivant la guerre en Ukraine, tandis que les violations contractuelles étaient intervenues postérieurement. Ici à nouveau le Tribunal fédéral considère que le raisonnement est trop court et qu’il convient d’examiner le scénario hypothétique qui serait intervenu si la banque avait agi de la manière que la cliente considérait conforme à ses obligations contractuelles. Le Tribunal fédéral constate que la cliente n’a pas allégué ce qui serait intervenu si la banque avait respecté ses obligations contractuelles ; à défaut d’allégation d’un tel scénario hypothétique, il n’est pas possible de retenir que le dommage allégué est en rapport de causalité avec la violation (alléguée) par la banque de ses obligations contractuelles ; à défaut de démonstration de la causalité, l’action ne peut être que rejetée.
Ni le Handelsgericht zurichois ni le Tribunal fédéral n’ont examiné si la banque avait agi de manière conforme ou contraire à ses obligations contractuelles.
Cet arrêt du Tribunal fédéral démontre une fois de plus (voir déjà Pedrazzini, cdbf.ch/1417/, Pittet, cdbf.ch/1297/, Hirsch, cdbf.ch/1061/) l’importance de veiller à formuler tous les allégués éventuellement pertinents au fondement de prétentions en responsabilité contre une banque.
On notera encore que le Handelsgericht zurichois avait écarté une expertise privée, conformément à la jurisprudence applicable jusqu’à la modification récente de l’article 177 CPC. Il sera intéressant d’observer comment l’admissibilité d’expertises privées pourra amener à leur usage systématique et comment un tel usage pourrait modifier le traitement de ce genre de contentieux bancaire.
Finalement, se pose la question de savoir si la cliente aurait pu agir en exécution plutôt qu’en dommages-intérêts, à savoir pour demander que la banque recrédite son compte du montant débité de manière prétendument indue. L’avantage de l’action en exécution est qu’il ne devrait pas être nécessaire de démontrer ni un dommage ni un rapport de causalité, la cliente pouvant contester simplement le caractère légitime de l’opération de débit et la banque devant alors démontrer l’obligation du client de couvrir l’opération. Savoir quand une action en exécution est possible en cas d’opération bancaire non justifiée est une question délicate (voir Thévenoz/Hirsch, Le dommage d’investissement et sa preuve, RSDA 2023, pp. 167-172). A notre sens, conformément à la règle générale et suivant l’avis des auteurs précités, une action en exécution de la cliente aurait dû être possible dans le cas particulier, même s’il n’est pas certain qu’une telle action ait été considérée ouverte par les tribunaux.