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Actualités suisses

Divorce à l'étranger et demande de renseignements à une banque suisse

Un intéressant arrêt du Tribunal fédéral du 22 janvier 2004 (5C.157/2003) porte sur une demande de renseignements adressée à une banque suisse dans le cadre d’un divorce à l’étranger :
Une épouse ouvre action en divorce devant les tribunaux français. Chaque époux est sollicité de fournir des renseignements sur ses revenus et sa fortune. Le mari ne donne aucune information au sujet d’un compte bancaire qui aurait été ouvert auprès d’une banque à Genève. Le tribunal français ordonne une expertise comptable afin de déterminer les éléments nécessaires pour statuer sur les prétentions de l’épouse. L’expert interpelle la banque genevoise, qui refuse de l’informer. L’épouse dépose alors à Genève une demande de mesures provisionnelles en reddition de comptes contre la banque, fondée sur le droit aux renseignements de l’art. 170 CC et subsidiairement sur les dispositions similaires du droit français. Quand bien même le Tribunal fédéral admet en dernière instance la compétence du tribunal genevois, il profite de l’occasion pour mettre en doute la qualité pour défendre de la banque dans le cadre de l’art. 170 CC, question dont il n’était pas saisi à ce stade du litige :
-Contrairement à l’avis de la Cour de Justice genevoise, le Tribunal fédéral considère que l’art. 10 LDIP, qui prévoit une compétence des autorités suisses pour ordonner des mesures provisoires, ne s’applique pas au cas d’espèce. Certes, dans certains cas exceptionnels, l’art. 10 LDIP permet à un époux en instance de divorce à l’étranger de déposer contre son conjoint une demande de renseignements et de pièces devant un juge suisse. Mais en l’espèce, le Tribunal fédéral n’entre pas en matière sur une telle possibilité, au motif que la demande est dirigée directement contre la banque, et qu’il ne s’agit donc pas d’une procédure annexe à la procédure de divorce pendante à l’étranger, qui opposerait les mêmes parties, mais d’une procédure indépendante. Malheureusement, les considérants de l’arrêt ne s’étendent pas sur ce point, qui nous paraît avoir une portée générale quant aux conditions d’application de l’art. 10 LDIP. L’arrêt ne se prononce également pas explicitement sur un intéressant argument de la banque, qui contestait que la mesure de reddition de comptes soit une « mesure provisoire » au sens de l’art. 10 LDIP.
-Le Tribunal fédéral admet en revanche la compétence internationale et locale des tribunaux genevois sur la base du for général au domicile du défendeur de l’art. 2 LDIP, la banque ayant son siège à Genève.
-Tout en indiquant qu’il ne peut examiner la qualité pour défendre de la banque, dès lors qu’il n’est saisi que du grief de l’incompétence, le Tribunal fédéral précise à raison qu’il est « douteux que l’art. 170 CC – qui serait applicable si la demande était soumise à la lex fori – permette d’ouvrir action contre le tiers ». A notre avis (cf. également la doctrine citée dans l’arrêt), il faut admettre que tant la lettre de l’art. 170 CC que le principe de proportionnalité exigent que le juge ne puisse astreindre le tiers à fournir les renseignements et pièces nécessaires que dans le cadre d’une procédure entre les époux, et non pas suite à une action exercée directement contre ce tiers.
Selon nous, la voie adéquate pour l’obtention des informations et pièces auprès d’une banque suisse dans le cadre d’une procédure de divorce à l’étranger est généralement celle de l’entraide internationale en matière civile, en particulier par voie de commission rogatoire demandée par l’autorité judiciaire étrangère. Comme le Tribunal fédéral l’a jugé dans un arrêt du 26 août 2002 (5P.152/2002), la Convention de la Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale oblige la Suisse à accorder l’entraide en recueillant les informations et pièces nécessaires auprès de la banque suisse de l’un des époux. Selon cet arrêt, le secret bancaire ne peut être invoqué pour s’opposer à une telle demande (cf. art. 11 lit. a de la Convention précitée) en raison de l’art. 170 CC. C’est l’occasion de rappeler que l’art. 170 CC est une base légale permettant de lever le secret bancaire, celui-ci n’étant pas visé par la réserve de l’art. 170 al. 3 CC.