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Offre obligatoire – Le Tribunal fédéral publie les considérants de l'arrêt Quadrant

Dans un arrêt du 25 août 2004 (2A.343/2003), le Tribunal fédéral a annulé une décision de la CFB constatant l’obligation des trois principaux actionnaires de Quadrant AG de présenter une offre publique d’acquisition aux actionnaires minoritaires de cette société. Les considérants de l’arrêt n’ont été rendus publics que récemment.
Donnant suite à une recommandation de la COPA du 23 juillet 2002, la CFB avait considéré dans une décision du 12 juin 2003-> http://www.copa.ch/transactions/mo_offers/mo_quadrant/mo_quadrant_ebk.pdf] que les actionnaires recourants avaient acquis de concert plus du tiers des droits de vote de Quadrant et avaient de ce fait l’obligation de présenter une offre aux actionnaires minoritaires de cette société ([art. 32 LBVM). Les recourants, dont aucun n’avait jamais détenu plus du tiers des droits de vote de Quadrant à titre individuel, niaient l’existence d’un concert et donc d’une obligation d’offre.
Dans un arrêt minutieusement motivé, le Tribunal fédéral donne raison à la CFB sur la question de principe: il confirme l’existence d’une action concertée et d’une obligation d’offre.
Le Tribunal fédéral estime en revanche que la CFB n’a pas motivé de façon appropriée son refus de déroger à l’obligation d’offre des recourants. Dans sa décision de juin 2003, la CFB avait jugé tardive et abusive la requête des recourants à ce sujet. Le Tribunal fédéral juge ce refus d’entrer en matière injustifié. Il renvoie la cause à la CFB pour que cette dernière détermine si les conditions matérielles d’une dérogation sont réunies. Sans trancher la question, il suggère qu’il n’objecterait pas à une telle mesure dans le cas d’espèce.
Le Tribunal fédéral indique ainsi qu’un changement de contrôle n’exclut pas nécessairement toute dérogation à l’obligation d’offre lorsque des participations sont transférées entre personnes agissant de concert. Selon lui, il suffirait dans ce cas que le changement de contrôle « n’aggrave pas la situation des actionnaires minoritaires » (c. 7.5.4). Cette idée est nouvelle. Jusqu’ici, la COPA et la CFB considéraient que le changement de contrôle exclut en principe toute dérogation (voir par exemple la recommandation Intersport PSC Holding AG du 10 avril 2002 c. 1.1 -> http://www.copa.ch/transactions/mo_offers/mo_intersport_2/mo_intersport_2.html#1_1] et la [décision Afipa SA et Harwanne Compagnie de participations industrielles et financières SA de la CFB du 22 février 2002.
Le point de vue adopté par le Tribunal fédéral semble difficile à concilier avec le but de la réglementation sur l’offre obligatoire, qui est d’assurer un droit de sortie aux minoritaires en cas de changement de contrôle. Le Tribunal fédéral fait valoir qu’un transfert de contrôle entre concertistes ne peut pas être comparé à un changement de contrôle impliquant des actionnaires isolés. Cette explication ne convainc pas. Les règles sur l’offre obligatoire doivent permettre aux actionnaires minoritaires de décider eux-mêmes s’ils entendent maintenir leur participation ou réaliser leur investissement en cas de changement de contrôle. Rien ne justifie qu’une autorité administrative prenne cette décision à leur place lorsque le changement de contrôle résulte d’un transfert de participation entre concertistes. Ce que le Tribunal fédéral entend par « aggravation de la situation des actionnaires minoritaires » est au demeurant nébuleux. Dans le système des règles sur l’offre obligatoire, la situation des minoritaires est aggravée du seul fait du changement de contrôle. Exiger la preuve d’un préjudice supplémentaire contredit le fondement même de la réglementation.
Le Tribunal fédéral est plus facile à suivre quand il suggère que les recourants contrôlaient peut-être déjà Quadrant avant de franchir le seuil déclenchant l’obligation d’offre. Une obligation d’offre ne se justifie qu’en cas de changement de contrôle. Il est donc normal de permettre à l’actionnaire qui franchit le seuil déclenchant cette obligation d’apporter la preuve que le contrôle de la société ne s’en trouve pas affecté. Une telle approche est conforme à celle que le Tribunal fédéral avait déjà consacrée dans son arrêt Baumgartner de 2001 (c. 7 d).
De façon intéressante, le Tribunal fédéral n’a pas examiné si, en cas de changement de contrôle, le caractère temporaire du franchissement du seuil déclenchant pouvait justifier une dérogation à l’obligation d’offre. Ce motif de dérogation est expressément prévu par la loi (art. 32 al. 2 lit. c LBVM). Les recourants se trouvent dans la situation prévue par cette disposition, puisque leur participation avait passé de 16.4 % à 42.1 % des droits de vote en octobre 2000 avant de redescendre à 18.8 % en mai 2002 après que l’assemblée générale des actionnaires eut supprimé les actions à droit de vote privilégiée. Certes, le délai de 19 mois séparant le franchissement ascendant et descendant du seuil déclenchant est un peu long pour être qualifié de « temporaire ». Toutefois, il est déjà arrivé que la COPA entre en matière sur une dérogation en présence d’un franchissement de seuil d’une durée comparable (recommandation Flughafen-Immobilien-Gesellschaft du 7 avril 2000).
En même temps qu’ils approuvaient l’introduction d’une catégorie d’action unique en mai 2002, les recourants ont néanmoins voté en faveur de l’introduction de clauses statutaires limitant à 3 % le droit de vote pouvant être obtenu et/ou exercé par un actionnaire. Ces clauses ne s’appliquent cependant pas aux participations qui dépassaient la limite de 3 % avant le 4 avril 2002, c’est-à-dire aux participations des recourants. Les recourants ont ainsi approuvé une mesure destinée à sceller leur contrôle sur la société avant de ramener leur participation en-dessous du seuil déclenchant l’obligation d’offre. De pratique constante de la COPA, un tel comportement exclut une dérogation fondée sur un franchissement temporaire du seuil déclenchant (voir par exemple la recommandation SGF, Société de Gares Frigorifiques et Ports Francs de Genève S.A. du 24 août 2004 c. 1.3, et les références citées).
L’arrêt du Tribunal fédéral pose ainsi la question de savoir si, en cas de changement de contrôle, il est admissible qu’un actionnaire (ou un groupe d’actionnaires) se voie accorder une dérogation à l’obligation d’offre alors qu’il a usé de sa position dominante pour empêcher une prise de contrôle par un tiers. En d’autres termes, la CFB devra déterminer si une éventuelle dérogation à l’obligation d’offre doit être subordonnée à l’abrogation dans les statuts de Quadrant des clauses d’agrément (« Vinkulierungsklausel ») et de limitation du droit de vote qui perpétuent le contrôle des recourants.