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Blanchiment d’argent

Vers une extension de la portée de la CDB ?

Le Tribunal fédéral a récemment confirmé, dans un nouvel arrêt 4A_594/2009, sa jurisprudence relative au blanchiment d’argent comme fondement d’un acte illicite en rappelant que la seule norme protectrice entrant en considération est l’art. 305bis CP à l’exclusion de la LBA et des ordonnances y relatives. Notre haute Cour semble toutefois laisser entrouverte la possibilité d’une évolution s’agissant de la portée de la Convention de diligence de l’ASB.
Les faits de la cause impliquent deux banques disposant de succursales à Genève par lesquelles des avoirs blanchis ont transité. Si plusieurs condamnations pour blanchiment sont intervenues dans ce contexte à l’égard de certains intervenants, les gestionnaires des établissements suisses n’ont toutefois pas été poursuivis par les autorités genevoises. Sur le plan civil, la Cour de justice genevoise a retenu qu’aucun acte illicite n’avait été commis par les banques ou leurs employés de sorte que l’action des demandeurs lésés devait être rejetée faute de fondement de responsabilité civile.
Liminairement, le Tribunal fédéral rappelle que l’action pour acte illicite est soumise à la loi du lieu où les valeurs étaient localisées au moment où elles ont subi l’atteinte dommageable (ATF 133 III 323, consid. 2.3). In casu, l’acte dommageable réside dans le transit des avoirs sur un compte bancaire en Suisse qui réalise l’infraction de blanchiment de sorte que l’action pour acte illicite est soumise au droit suisse.
Quant au fondement de l’action pour acte illicite qui implique, en présence d’un préjudice purement économique, que le lésé puisse se prévaloir de la violation d’une norme ayant pour but de protéger ses intérêts patrimoniaux (illicéité de comportement), notre haute Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle l’art. 305bis CP vise aussi la protection des intérêts patrimoniaux du lésé et peut donc fonder un acte illicite (ATF 133 III 323, consid. 5.1 ; cf. également Olivier Unternaehrer, Actualité N° 521). Cette infraction exige cependant que l’auteur ait agi de façon intentionnelle, le dol éventuel étant suffisant. Le Tribunal fédéral retient qu’une telle intention fait défaut en l’espèce dans la mesure où le gestionnaire a de manière régulière sollicité des informations supplémentaires auprès de son client puis a procédé à la clôture du compte. Quant au compte ouvert auprès du second établissement, il a cessé d’être alimenté quelques huit mois après son ouverture. Par conséquent, le Tribunal fédéral relève que les demandes régulières d’informations et la décision finale de clôture du compte démontrent que le gestionnaire n’acceptait pas l’idée de blanchir de l’argent. Quant au second gestionnaire, il n’avait pas de raison concrète de soupçonner l’existence d’un crime au moment de l’ouverture. Faisant montre d’un pragmatisme qui saura être apprécié, le Tribunal fédéral relève que les moyens d’investigation d’une banque sont nécessairement plus ou moins restreints et que « l’on ne saurait dès lors exiger des banques qu’elles agissent à l’égard de leurs clients comme un office d’instruction pénale à l’égard d’un suspect« .
Enfin, le Tribunal fédéral a examiné si d’autres normes pouvaient fonder un acte illicite et a confirmé sa jurisprudence, récente, retenant que la LBA et ses ordonnances d’application n’avaient pas pour but de protéger les intérêts patrimoniaux individuels et ne peuvent donc fonder un acte illicite (ATF 134 III 529). Il en va de même pour l’art. 305ter CP et l’ancienne circulaire 91/3 CFB (applicable au moment des faits pertinents et qui a précédé la circulaire 98/1 puis les diverses OBA-FINMA). En revanche, après avoir relevé que la CDB ne saurait constituer une norme protectrice susceptible de fonder un acte illicite puisqu’il s’agit d’une norme privée qui ne lie pas le juge (ATF 125 IV 139), le Tribunal fédéral laisse entendre de façon surprenante et laconique que cette problématique pourrait être réexaminée compte tenu de l’entrée en vigueur de la LBA postérieure aux faits de la cause, comme l’aurait suggéré la Cour cantonale.
Or la Cour cantonale a clairement écarté la possibilité de fonder un acte illicite sur la CDB ce qui doit certainement être approuvé. En effet, dans la mesure où la jurisprudence susmentionnée exclut sans équivoque que la LBA ou ses ordonnances puissent constituer le fondement d’un acte illicite, la CDB, qui vise à concrétiser les exigences de la LBA ainsi qu’elle le relève dans son préambule (art. 1 CDB), ne saurait a fortiori constituer un tel fondement.
Faut-il dès lors comprendre la remarque du Tribunal fédéral comme entrouvrant la possibilité de revoir sa position quant au fait que la CDB ne lie pas le juge ? Dans un arrêt de principe (ATF 125 IV 139), le Tribunal fédéral avait en effet retenu que la CDB ne liait pas le juge pénal dans le cadre de son examen de la réalisation de l’infraction prévue à l’art. 305ter CP. A l’époque, les faits étaient cependant antérieurs à l’entrée en vigueur de la LBA.
Aujourd’hui, la LBA constitue certainement un guide d’appréciation pour le juge pénal quant à la réalisation de l’art. 305ter CP. Par conséquent, il est possible que le Tribunal fédéral entende se déterminer dans un prochain arrêt sur l’opportunité de reconnaître un effet contraignant à la CDB pour apprécier la réalisation de cette infraction. Toutefois, quand bien même la CDB devrait lier le juge pénal – ce qui, au vu de la nature privée de cette convention, paraît peu souhaitable et difficilement justifiable –, son rôle dans le fondement d’un acte illicite n’en serait pas modifié et devrait continuer d’être dénié au même titre que la législation LBA.