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Droit boursier

La COPA modifie sa jurisprudence sur les clauses d'« opting out »

La COPA vérifiera désormais elle-même si l’introduction d’une clause d’« opting out » porte préjudice aux actionnaires minoritaires. A cet effet, elle examinera comment ces actionnaires ont voté à ce sujet, lors de l’assemblée générale qui a pris la décision. En outre, une clause d’« opting out  » pourrait s’appliquer seulement à une transaction déterminée (décision de la COPA « Advanced Digital Broadcast » du 11 octobre 2012).
Pour comprendre la portée considérable de cette décision, il faut brièvement rappeler l’histoire de la jurisprudence dans ce domaine :

  • Dans les sociétés cotées, l’actionnaire dont la participation vient à dépasser 33 1/3 % des voix doit présenter une OPA sur toutes les actions de la société (art. 33 LBVM). Cependant (spécialité helvétique), une société peut écarter l’application de cette règle en adoptant dans ses statuts une clause d’« opting out » ; cette clause ne doit pas causer un préjudice aux actionnaires (art. 22 LBVM).
  • Dans une décision ESEC du 23 juin 2000, la CFB a décidé (contrairement à l’avis de la COPA) qu’une clause d’« opting out » doit toujours être générale ; en particulier, elle ne doit pas viser seulement une transaction déterminée (clause dite « formellement sélective »).
  • La COPA a considéré que cette décision de la CFB devait logiquement aussi interdire l’adoption d’une clause d’« opting out » générale, mais destinée en fait à permettre une transaction déterminée (clause dite « matériellement sélective ») (recommandations ADVAL du 3 mars 2004 et SGF du 7 juillet 2004).
  • La COPA a abandonné cette pratique de 2004 dans une décision de principe du 22 septembre 2011 (décision LEM Holding, cf. Actualité no 771). La COPA a estimé que les actionnaires opposés à l’introduction d’une clause d’« opting out » pouvaient attaquer en justice la décision de l’assemblée générale : il incombait donc aux tribunaux, et non à la COPA, d’apprécier la validité de la décision ; la COPA devait se borner à vérifier que les actionnaires avaient été parfaitement informés.

Un an après cette décision de principe, la COPA balaie toute cette jurisprudence :

  • Tout d’abord, elle décide qu’il lui incombe d’examiner elle-même (sans laisser cette tâche aux tribunaux) si l’introduction d’une clause d’« opting out » entraîne, pour les actionnaires minoritaires, un préjudice qui n’est pas justifié par l’intérêt social (art. 22 al. 3 LBVM, renvoyant à l’art. 706 CO). Elle justifie notamment cette décision en relevant que les actionnaires minoritaires ne contestent que très rarement en justice les décisions de l’assemblée générale (probablement, ajoutons-nous, parce que les tribunaux n’annulent que rarement une telle décision, partant de l’idée qu’une société est gouvernée par la majorité de ses actionnaires). La COPA relève aussi que le législateur vient d’adopter une règle plus stricte sur le prix minimum d’une offre obligatoire : les sociétés seront donc incitées à adopter plus fréquemment des clauses d’« opting out » ; c’est peut-être le motif essentiel de cette nouvelle jurisprudence.
  • La COPA examinera la décision de l’assemblée générale sans tenir compte des voix de l’actionnaire « majoritaire » (et, le cas échéant, des actionnaires agissant de concert avec lui). Si les autres actionnaires (les actionnaires « minoritaires ») ont, à l’assemblée générale, approuvé majoritairement la décision, la COPA présumera que celle-ci est justifiée par l’intérêt social ; dans le cas contraire, la COPA présumera que la clause n’est pas valable en droit des OPA. En pratique, ces présomptions devraient être difficiles à renverser ; tout au plus peut-on envisager que la COPA tiendra compte de l’importance relative de la majorité des « autres actionnaires ». La COPA écarte ainsi un élément important de la décision ESEC prise par la CFB le 23 juin 2000.
  • Enfin la COPA annonce qu’elle envisage d’autoriser, aux mêmes conditions, une clause d’« opting out » formellement sélective, qui ne s’appliquerait donc qu’à une transaction déterminée au profit d’un actionnaire déterminé. Elle relève qu’une telle clause protège mieux les intérêts des actionnaires minoritaires qu’une clause générale ; ici aussi, la COPA s’écarte résolument de la décision ESEC.

Dans le cas particulier, les statuts de la société « Advanced Digital Broadcast Holdings SA » contenaient une clause d’« opting up » fixant le seuil déclenchant l’offre obligatoire à 49 % (au lieu du seuil légal de 33 1/3 %). L’assemblée générale avait adopté une clause d’« opting out » générale (qui aurait donc remplacé la clause d’« opting up »), à une majorité de 90 % des voix. Toutefois, seulement 52 % des actions étaient représentées, alors que l’actionnaire « majoritaire » détenait 41 % du capital social. Par conséquent, si l’on ne tient pas compte des voix de l’actionnaire « majoritaire », les autres actionnaires auraient refusé l’introduction de cette clause avec une majorité de 80 %. Si l’on compte les abstentions comme des voix négatives, conformément à l’art 703 CO (que la COPA oublie…), cette proportion se monterait même à 90 %. La COPA présume par conséquent que l’introduction d’une clause d’« opting out » causerait un préjudice aux actionnaires minoritaires, sans que l’intérêt social le justifie. La société tente de renverser cette présomption, mais avec des arguments assez faibles, que la COPA rejette facilement. En conclusion, la clause d’« opting out » n’est pas valable.
Nous saluons cette modification fondamentale de la jurisprudence de la COPA. Il est justifié que la COPA examine elle-même les questions relevant du droit des OPA, même si la loi sur les bourses se réfère à une disposition du droit des sociétés anonymes. C’est particulièrement justifié pour l’introduction d’une clause d’« opting out », alors que le principe de l’offre obligatoire est une règle très importante pour la protection des actionnaires minoritaires. Il est raisonnable de tenir largement compte, dans cet examen, de l’avis exprimé à l’assemblée générale par les actionnaires minoritaires. Et il est heureux que les clauses d’« opting out » ne visant qu’une transaction déterminée ne soient pas interdites. Ainsi, on peut définitivement oublier la décision malheureuse prise il y a douze ans par la CFB dans l’affaire ESEC.