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Entraide en matière pénale

Qualité pour recourir d'une banque contre la transmission de documents bancaires

Le 12 décembre 2012, dans son arrêt RR.2012.81, le Tribunal pénal fédéral (ci-après : TPF) s’est penché sur la question de la qualité pour recourir d’une banque dans le cadre d’une entraide judiciaire internationale en matière pénale entre la Suisse et les Etats-Unis, dès lors que des documents relatifs à ses affaires internes figurent parmi ceux envoyés aux Etats-Unis.
Un bref résumé des faits s’impose : le Department of Justice des Etats-Unis (ci-après : DOJ) a sollicité l’aide des autorités suisses dans le cadre d’une enquête dirigée contre les clients d’une banque suisse pour des faits ayant notamment trait à des délits boursiers. Après avoir notifié une décision à la banque, décision qui n’a fait l’objet d’aucun recours, l’Office fédéral de la justice (ci-après : OFJ) a ordonné la transmission des documents requis. Par la suite, le DOJ a adressé aux autorités suisses une demande d’entraide complémentaire, visant cette fois l’audition d’employés de la banque suisse et la documentation relative à des prêts consentis à l’un des clients de cette banque. Après avoir rendu quatre décisions de clôture, l’OFJ a décidé de remettre lesdites auditions effectuées par le Ministère public de la Confédération, ainsi que 20 classeurs aux autorités américaines. Ces décisions ont à nouveau été notifiées à la banque et n’ont fait l’objet d’aucun recours. Quelques mois plus tard, l’OFJ a demandé à la banque de lui transmettre une série de documents répertoriés dans 29 classeurs. Par une décision incidente, l’OFJ a statué sur la demande complémentaire et a autorisé la présence de fonctionnaires américains à une séance de tri des pièces, comprenant les 29 classeurs. Cette décision n’a pas été notifiée à la banque, qui en a eu connaissance par ses conseils américains. La banque a alors recouru auprès du TPF contre cette décision en invoquant une transmission irrégulière de documents et en demandant une décision de clôture de la part de l’OFJ en bonne et due forme. L’OFJ estime que la banque n’a pas qualité pour recourir contre la transmission de documents bancaires.
Dans un premier temps, le TPF examine l’objet du litige. Il en conclut que les décisions finales de l’OFJ peuvent faire l’objet d’un recours (art. 17 LTEJUS). Cependant, malgré l’absence d’une décision dans le cas d’espèce, le TPF assimile la démarche de la banque à un recours contre une décision finale en raison de la transmission des documents par l’OFJ.
Dans un second temps, le TPF analyse la qualité pour recourir de la banque, sans laquelle le recours serait déclaré irrecevable. En règle générale, la qualité pour recourir, dans le cadre de la remise de documents bancaires à un autre Etat, est reconnue au titulaire du compte bancaire uniquement. Un établissement bancaire n’a, quant à lui, qualité pour recourir que si ses propres intérêts sont touchés par la mesure litigieuse. Tel est le cas lorsque la banque est elle-même titulaire des comptes visés ou lorsque les renseignements requis concernent l’activité interne de la banque. In casu, il y a lieu de reconnaître à la banque la qualité pour recourir, étant donné la possibilité que des documents relatifs à ses affaires internes figurent parmi les documents envoyés aux Etats-Unis.
Finalement, le TPF examine le grief de la violation du droit d’être entendu invoqué par la banque. En l’espèce, la banque ne s’est pas vue notifier une décision incidente et n’a pu être présente lors du tri des pièces.
Le droit d’être entendu garantit aux parties le droit de recevoir les décisions qui les concernent, afin notamment de pouvoir exercer le droit de recours légal. En l’occurrence, il est incompréhensible que l’OFJ ait renoncé à notifier sa décision d’entrée en matière à la banque, étant donné que toutes les décisions antérieures lui ont été notifiées. En outre, l’OFJ ne pouvait pas ignorer que la banque risquait d’être concernée par ladite décision. Il y a lieu de rappeler l’obligation jurisprudentielle qui impose à l’autorité d’exécution de notifier à la banque sa décision d’entrée en matière, indépendamment de la question de savoir si celle-ci est directement touchée par les mesures requises, dès lors que l’édition de documents bancaires relatifs à ses clients est ordonnée.
La participation du détenteur au tri des pièces à remettre à l’Etat requérant découle de son droit d’être entendu. Cependant, sa présence lors des opérations de tri des pièces n’est pas indispensable, même si les fonctionnaires des autorités étrangères y participent. En définitive, ce qui importe c’est que le détenteur ait eu l’occasion concrète et effective de se déterminer au sujet des informations à transmettre, afin de lui permettre d’exercer son droit d’être entendu et de satisfaire à son obligation de coopérer à l’exécution de la demande.
Par conséquent, le droit d’être entendu de la banque n’a pas été respecté par l’OFJ.
Dans cet arrêt, après avoir constaté la qualité pour recourir de la banque et la violation de son droit d’être entendu par l’OFJ, le TPF invite l’OFJ à fournir l’occasion concrète et effective à la banque de se déterminer sur la question du tri des pièces ainsi qu’à rendre une ordonnance de clôture dûment motivée sur le sort des pièces en question. De plus, le TPF estime qu’il appartient à l’OFJ d’intervenir auprès des autorités américaines afin d’obtenir, le cas échéant, la suspension des informations transmises prématurément.
Multiples sont les raisons qui rendent cet arrêt pertinent. En effet, en matière d’entraide internationale, la qualité pour recourir est rarement reconnue à la banque appelée à transmettre des informations. Cependant, le TPF l’a reconnue lorsque certains documents relatifs à l’activité interne de la banque sont transmis. En outre, le TPF a rappelé l’exigence imposée aux autorités de notifier la décision d’entrée en matière. Les autorités ne peuvent y déroger, même si les intérêts de la banque ne sont pas atteints. Néanmoins, nous regrettons les conclusions du TPF : l’obtention de la suspension des informations transmises prématurément ne constitue qu’une maigre consolation. En l’occurrence, tous les documents éventuellement relatifs aux affaires internes de la banque ont été transmis le 12 mars 2012 aux autorités américaines alors que le juge n’a ordonné la suspension de leur utilisation que le 12 décembre 2012. En conclusion, les autorités américaines ont eu un libre accès à ces données pendant plus de 10 mois, suite à l’action secrète et douteuse de l’OFJ.