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Financement externe garanti par un proche de l’actionnaire

Confirmation de la pratique fiscale en matière de sous-capitalisation

Dans un arrêt 2C_419/2015 du 3.06.2016, destiné à la publication, le Tribunal fédéral (TF) a eu l’occasion de se prononcer sur la problématique du capital propre dissimulé en relation avec un financement garanti par un proche de l’actionnaire.

À titre liminaire, il sied de rappeler que si la société et son actionnaire peuvent librement déterminer le mode de financement de la société, y compris le ratio entre les fonds propres et les fonds étrangers (debt-to-equity ratio), le droit fiscal suisse limite ce choix en cas de sous-capitalisation, en requalifiant un éventuel capital propre dissimulé en fonds propres. Une telle requalification a pour effet notamment que les intérêts versés en relation avec le capital propre dissimulé doivent être ajoutés au rendement net soumis à l’impôt sur le bénéfice (cf. art. 65 LIFD). En ce sens, elle corrige l’incitatif résultant de la déductibilité des intérêts passifs du bénéfice imposable de la société assujettie.

Afin de détecter la présence de capital propre dissimulé et, le cas échéant, le quantifier, la pratique a développé une méthode en trois étapes (cf. Circulaire AFC N° 6 du 6.06.1997). Il faut tout d’abord examiner s’il existe des fonds étrangers susceptibles d’être requalifiés en capital propre dissimulé, c.-à-d. soit i) des fonds mis à disposition, directement ou indirectement, par des actionnaires ou des personnes qui leur sont proches, soit ii) des fonds mis à disposition par des tiers mais garantis par des actionnaires ou des proches de ces derniers. Dans l’affirmative, il convient d’établir la capacité d’endettement fiscalement admissible de la société. Cet examen s’effectue en arrêtant pour chaque actif de la société, le montant maximum que celle-ci pourrait obtenir d’un tiers au moyen du tableau de capitalisation prévu par la circulaire. Une éventuelle différence positive entre le montant du financement et ce montant maximum est alors qualifiée de capital propre dissimulé, à moins que le financement ne puisse être considéré comme conforme aux conditions du marché.

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3.06.2016 concerne une société anonyme détenue à parts égales par deux sociétés et disposant d’un administrateur unique, lequel administrait également l’une des sociétés mères. Les actifs de la société se composaient principalement d’immeubles pour un montant de 17.82 millions CHF (valeur comptable). Ses passifs comprenaient notamment un prêt d’un montant de 18 millions CHF. Ce prêt était garanti par des sûretés réelles grevant les immeubles, ainsi que par une sûreté personnelle de l’administrateur, ce dernier s’étant porté conjointement et solidairement responsable du remboursement du prêt. La garantie de l’administrateur avait été exigée du prêteur afin « d’éviter le nantissement des actions et garantir une bonne gestion de la société ».

À la fin 2012, le service cantonal de taxation compétent a rendu des décisions de taxation portant sur les périodes fiscales 2010 et 2011 au terme desquelles il procédait à des reprises dans les bénéfices de la société en lien avec l’existence d’intérêts sur le capital propre dissimulé. Ces décisions ayant été confirmées par les instances cantonales, la société a recouru au TF en faisant notamment valoir que le prêt litigieux ne pouvait être considéré comme un prêt accordé par l’actionnaire ou un proche, compte tenu du fait que la garantie personnelle octroyée par l’administrateur avait été requise par le prêteur pour les motifs précités.

S’écartant d’un avis doctrinal, le TF considère l’approche de la circulaire comme conforme à l’art. 65 LIFD. Il pose ensuite le principe selon lequel « lorsqu’un prêt accordé par un tiers fait l’objet de garanties réelles portant sur des actifs de la société emprunteuse et qu’en sus, l’actionnaire ou un proche est débiteur solidairement responsable du prêt, il faut déterminer dans quelle mesure la garantie personnelle fournie remplit économiquement la fonction de capital propre ». Selon le TF, lorsque la sûreté réelle est insuffisante pour garantir à elle seule le montant du prêt accordé, il peut être présumé que la part du prêt non couverte a été accordée en raison de la sûreté personnelle de l’actionnaire ou de son proche, sous réserve de la preuve d’un financement à des conditions du marché. Or, en l’espèce, la part excédentaire du prêt telle qu’elle découlait du tableau de capitalisation n’avait été rendue possible que grâce à la sûreté personnelle de l’administrateur. En outre, les motifs avancés par la société pour justifier l’exigence de cette garantie ne prouvaient aucunement que le financement était conforme au marché. La part excédentaire avait donc à juste titre été qualifiée de capital propre dissimulé.

L’arrêt du TF valide une pratique fiscale bien établie. On peut toutefois s’étonner que le TF n’ait pas d’avantage discuté, alors qu’il en avait la possibilité (art. 106 al. 1 LTF), la qualité de proche de l’administrateur dans la mesure où ce dernier ne détenait a priori aucune participation dans les sociétés concernées. Peut-être, cela peut-il s’expliquer par le fait que la société n’ait jamais contesté la qualité de proche de l’administrateur (c. 7.5), notamment en raison d’absence de lien capitalistique direct ou indirect entre ce dernier et la société emprunteuse. Il ne peut par conséquent pas être exclu que le TF soit amené un jour à trancher cette question avec plus de clarté.

Enfin, il y a lieu de mentionner un obiter dictum de l’arrêt selon lequel le nantissement des actions de la société n’aurait apporté aucune garantie supplémentaire au bailleur de fonds (c. 7.4). Cette observation plaide en faveur d’une appréciation fondée sur l’utilité économique de la sûreté fournie par l’actionnaire ou le proche dans le cadre de l’examen d’une éventuelle sous-capitalisation. Selon cette conception, il pourrait ainsi ne pas être tenu compte de la sûreté de l’actionnaire ou du proche si celle-ci devait se confondre économiquement avec les sûretés de la société emprunteuse. Tel pourrait en particulier être le cas si l’actionnaire nantit sa participation dans la société emprunteuse alors que les principaux actifs de celle-ci garantissent déjà le financement.