Aller au contenu principal

Affaire Falciani

La parole est d'argent, le silence est d'or

Le Tribunal fédéral a tranché un autre litige né de l’affaire Falciani (2C_648/2017 du 17 juillet 2018). Cette fois, ce n’était pas la France qui réclamait des renseignements, mais l’Inde. Elle les a obtenus. Le fait, non prouvé, que la demande ait trouvé son origine dans des données soustraites à une banque suisse était, en soi, insuffisant pour la rejeter. Il se trouve que le « Ministry of Finance » indien (MoF), autorité requérante, n’a pas acquis les données, mais les aurait obtenues d’un autre État. Il fallait dès lors d’autres éléments concrets pour renverser la présomption de bonne foi de l’État requérant.

Voyons comment le silence de l’Inde a payé, là où les déclarations de la France ont échoué.

Le MoF soupçonne deux individus de lui avoir caché des valeurs patrimoniales soumises à l’impôt sur le revenu. Les deux contribuables sont les bénéficiaires d’un trust, qui détient ses actifs au travers de quatre sociétés des British Virgin Islands. Une fois n’est pas coutume, l’issue du litige dépend moins de la situation concrète des contribuables que du processus de renégociation de la CDI avec l’Inde. Souvenons-nous avant de poursuivre que le Tribunal fédéral s’est déjà prononcé deux fois sur le principe d’une utilisation de données volées. À chaque reprise, la France était à la manœuvre.

  • Dans l’ATF 143 II 202, le Tribunal fédéral a jugé qu’un refus d’entrer en matière se justifiait seulement en cas d’actes effectivement punissables en Suisse. Or, en l’occurrence, les données avaient été soustraites à la filiale française d’une banque suisse. Faute d’actes punissables en Suisse, la France a ainsi obtenu les renseignements (cf. Fabien Liégeois, cdbf.ch/969).
  • Dans l’ATF 143 II 224, la France a déposé sa demande au mépris d’un engagement de ne pas utiliser les données volées par Hervé Falciani. L’exploitation des données lui a en effet permis d’envoyer une commission rogatoire, qui a, à son tour, permis d’identifier un compte en Suisse. La France a dès lors concrètement adopté un comportement contraire à la bonne foi. Cet arrêt fixe aussi un critère pour mesurer le respect de l’engagement : un lien de causalité, direct ou indirect, doit exister entre les données et la demande. D’une part, la France ne peut pas, grâce à ces données, obtenir des renseignements sur les personnes ayant eu des comptes bancaires auprès de HSBC en Suisse (lien direct). D’autre part, les renseignements à l’origine de la demande ne peuvent pas résulter de mesures d’instructions consécutives à l’exploitation de ces mêmes données (lien indirect).

Revenons aux faits. Le 3 janvier 2017, l’AFC décide de transmettre les informations sur les individus et certaines des sociétés concernées au MoF. Ceux-ci recourent au Tribunal administratif fédéral. Au cours de la procédure, l’Inde refuse de confirmer à l’AFC l’origine licite des données à la base de sa demande. Le Tribunal administratif fédéral rejette néanmoins le recours. Il ne reste plus qu’à s’adresser au Tribunal fédéral. Les recourants lui posent ainsi les deux questions juridiques de principe suivantes (LTF 84a) :

  1. La (re)transmission légale des données peut-elle pallier le fait qu’elles ont été acquises illégalement (« Es stelle sich die Frage, ob die nicht-illegale Weitergabe von Daten die Illegalität ihrer Beschaffung heilen könne  ») ?
  2. Le refus du MoF de confirmer la licéité de l’origine des données viole-t-il le principe de la confiance entre États ?

Ces questions supposent en effet une interprétation de l’art. 7 let. c LAAF, à teneur duquel « [i]l n’est pas entré en matière lorsque la demande […] viole le principe de la bonne foi, notamment lorsqu’elle se fonde sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse ».

Au fond, le Tribunal fédéral commence par rappeler sa jurisprudence. Il a déjà précisé en effet que « n’adopterait pas un comportement conforme à la bonne foi l’État requérant qui achèterait des données bancaires qu’il utiliserait ensuite pour former des demandes d’assistance administrative. Une telle démarche reviendrait également à détourner les clauses d’échange de renseignements de leur sens et de leur but » (ATF 143 II 224 consid. 6.4 p. 231). La Suisse peut ainsi (toujours) refuser d’entrer en matière si l’État requérant a acquis les données auprès d’un autre État. En dehors de ce cas, la bonne foi de l’État requérant dépend des circonstances concrètes. Ici, faute d’acquisition illicite, il faut des indices supplémentaires pour remettre en question la bonne foi indienne. Le Tribunal fédéral ajoute :

  1. N’en déplaise à l’AFC, la simple utilisation de données volées peut (selon les circonstances) s’avérer contraire à la bonne foi.
  2. N’en déplaise à nombre d’auteurs, la simple utilisation de données volées ne signifie à l’inverse pas que le comportement est contraire à la bonne foi.

En somme, le Tribunal fédéral écarte les positions de principe.

Il rappelle que le problème posé dans la seconde affaire française (ATF 143 II 224) était double : outre l’acquisition illégale de données, la France avait violé son engagement de ne pas s’en servir. Or in casu l’Inde n’a pas pris l’engagement envers la Suisse de ne pas utiliser des renseignements provenant de données volées. Certes, depuis 2010, la Suisse exige de ses partenaires conventionnels qu’ils s’engagent à ne pas déposer de demande fondée sur des données volées. Mais voilà, rien de tel n’a été transcrit dans la CDI avec l’Inde. La convention ne l’oblige pas non plus à détailler les circonstances dans lesquelles elle a obtenu les données. Étant donné que seul le texte de la CDI est déterminant, l’art. 7 let. c LAAF, dont la portée est limitée, n’est d’aucun secours.

Le Tribunal fédéral rappelle enfin que la bonne foi est présumée dans les relations internationales. Avant lui, le Tribunal administratif fédéral a estimé que le simple refus de l’Inde de confirmer l’origine des renseignements ne suffisait pas à remettre en cause sa bonne foi. Le Tribunal fédéral est, cette fois, du même avis que l’instance inférieure, puisque la CDI renégociée avec la Suisse n’impose pas une telle obligation.

L’Inde, comme la France, a peut-être utilisé des données volées à la Suisse. Qu’importe ! Elle a su répondre avec panache aux hésitations helvétiques par le silence. Son mutisme (allié à celui des négociateurs suisses) lui a permis d’éviter le risque de se contredire.