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Assistance fiscale

Le mode d’imposition du contribuable est-il un renseignement vraisemblablement pertinent ?

Le Tribunal fédéral doit trancher si l’information qu’un ressortissant français est imposé conformément au système de l’imposition d’après la dépense en Suisse est un renseignement vraisemblablement pertinent au sens de l’art. 28 par. 1 CDI CH-FR devant être transmis aux autorités françaises dans le cadre de leur demande d’assistance administrative internationale (TF, 2C_265/2018 du 1er février 2019).

Un ressortissant français imposé d’après la dépense en Suisse s’oppose, devant le Tribunal administratif fédéral, à la demande d’assistance administrative internationale formée à son encontre par l’État français.

L’autorité requérante cherche à établir si son ressortissant, considéré comme résident fiscal suisse, serait également résident fiscal français.

Par jugement du 20 juin 2018, le Tribunal administratif fédéral a admis la demande d’assistance litigieuse mais, donnant partiellement gain de cause au recourant, a refusé la remise des informations liées au mode d’imposition en Suisse de celui-ci en expliquant ne pas comprendre « l’utilité potentielle de cette information ».

Agissant par la voie du recours en matière de droit public par devant le Tribunal fédéral, l’Administration fédérale des contributions (AFC), demande l’annulation dudit jugement.

Après une analyse de la condition de la pertinence vraisemblable au sens de l’art. 28 par. 1 CDI CH-FR, le Tribunal fédéral rappelle qu’une demande d’assistance administrative internationale peut avoir pour but, comme dans le cas d’espèce, de clarifier la résidence fiscale d’une personne.

L’assujettissement à l’impôt de manière illimitée en Suisse de cette personne ne fait pas nécessairement obstacle à une telle demande dès lors que :

  1. la détermination de la résidence fiscale au plan international est une question de fond qui n’a pas à être abordée par la Suisse en tant qu’État requis au stade de l’assistance administrative ;
  2. la Suisse ne dispose en principe pas de l’ensemble des éléments permettant de trancher un conflit de résidence fiscale au plan international lorsqu’elle reçoit une demande d’assistance ;
  3. le conflit de compétence fiscale n’est pas nécessairement réalisé au moment de la demande d’assistance, puisque l’État requérant cherche précisément à obtenir des informations pour déterminer si la personne visée peut ou non être considérée comme résidente fiscale sur son territoire ;
  4. il appartient au contribuable visé par une demande d’assistance et qui conteste être assujetti à l’impôt dans l’État requérant de faire valoir ses arguments devant les autorités de cet État.

N’épargnant pas le Tribunal administratif fédéral, notre Haute Cour fait ensuite mention de l’art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR, « disposition qui, visiblement, a échappé à l’instance précédente », et qui énonce que : « n’est pas considérée comme résident d’un État contractant au sens du présent article une personne physique qui n’est imposable dans cet État que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elle possède sur le territoire de cet État  ».

Sur la base de cette disposition, le Tribunal fédéral, balayant d’un revers de manche l’analyse du Tribunal administratif fédéral, considère que si une demande d’assistance administrative française vise à établir la résidence fiscale de la personne visée, l’information relative au mode d’imposition de cette personne en Suisse constitue, d’emblée, un renseignement vraisemblablement pertinent.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Le traitement peu nuancé du Tribunal fédéral dans cet arrêt de l’art. 4 par. 6 de la CDI CH-FR laisse songeur pour deux raisons.

Premièrement, l’analogie appliquée par le Tribunal fédéral entre le contribuable imposé sur la base d’une valeur locative et le contribuable imposé selon la dépense, peut être discutée.

En réalité, le forfaitaire est imposé selon ses dépenses annuelles, mais au minimum au montant le plus élevé entre (i) CHF 400’000.- (au niveau fédéral), (ii) le septuple du montant du loyer du contribuable ou de la valeur locative au triple du prix annuel de la pension si le contribuable vit dans un hôtel ou un autre établissement analogue et (iii) l’impôt qui résulte de l’ensemble des éléments de revenus et de fortune de source suisse et des éléments de revenus conventionnés (calcul de contrôle) (art. 14 al. 3 LIFD).

Depuis le 1er janvier 2016, les cantons ont en outre l’obligation de tenir compte de l’impôt sur la fortune pour déterminer le montant d’impôt prélevé d’après la dépense (à ce sujet cf. Message du Conseil fédéral du 29 juin 2011 relatif à la Loi fédérale sur l’imposition d’après la dépense, FF 2011, p. 5622).

Il apparait donc critiquable d’assimiler, comme semble le faire le Tribunal fédéral, l’art. 4 par. 6 de la CDI CH-FR à l’imposition selon la dépense.

Deuxièmement, le Tribunal fédéral ne fait pas mention l’accord amiable conclu entre la Suisse et la France en 1972 qui prévoit que les contribuables imposés d’après la dépense peuvent tout de même bénéficier de la convention si la base d’imposition est supérieure ou égale à 5 fois la valeur locative ou le loyer annuel de la résidence en Suisse (majorée de 30 % en pratique) et si elle ne s’éloigne pas notablement de la législation fédérale. Il s’agit des contribuables imposés selon le « forfait majoré » (DB 14 B-2211 n° 7 du 10 décembre 1972 et circulaire AFC du 29 février 1968).

Il est malheureux que le Tribunal fédéral n’ait pas saisi cette occasion pour apporter des précisions quant à l’application de l’art. 4 par. 6 CDI CH-FR suite à la dénonciation unilatérale du 26 décembre 2012 par la France de l’accord susvisé (cf. Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts du 26 décembre 2012).

Enfin, lorsqu’une demande porte sur un contribuable que les deux États contractants considèrent comme un de ses résidents fiscaux, le rôle de la Suisse en tant qu’État requis doit se limiter, au stade de l’assistance administrative, à vérifier que le critère d’assujettissement auquel l’État requérant recourt se retrouve dans ceux qui sont prévus dans la norme conventionnelle applicable concernant la détermination de la résidence fiscale.

L’art. 4 par. 1 CDI CH-FR définit l’expression « résident d’un État contractant » comme toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.

La résidence doit être déterminée d’après le droit national respectif de chaque Etat.

Si, sur la base des règlements nationaux, une personne est considérée comme assujettie à l’impôt de manière illimitée dans plus d’un État, il convient de faire usage de la procédure dite de « contrôle en cascade » (tie-breaker rules) prévue dans les différentes conventions de double imposition afin de déterminer dans quel État une personne physique a effectivement sa résidence fiscale.

L’art. 4, par. 2 de la CDI CH-FR prévoit comme critères en cascade le foyer d’habitation permanent, le centre des intérêts vitaux, le séjour habituel et la nationalité.

À la vue de ce qui précède, on peut s’interroger en quoi le mode d’imposition d’un contribuable assujetti de manière illimitée en Suisse permettrait d’éclairer l’autorité française quant à l’assujettissement de ce même contribuable sur son propre territoire.