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Société anonyme

« Le mystérieux signataire à la signature figurative »

Dans un arrêt 4A_455/2018, le Tribunal fédéral a été amené à refuser à un organe de fait la capacité de représenter une société à l’égard de tiers.

Deux sociétés actives dans le commerce de matières premières, l’une dont le siège est en Suisse et la seconde aux Îles Vierges britanniques, concluent trois contrats successifs portant sur l’achat, le raffinage et la revente de charbon. Les trois contrats sont signés par l’ayant droit économique de la société aux BVI et par un inconnu pour la société suisse (désigné comme « le mystérieux signataire à la signature figurative » par le Tribunal fédéral). L’administrateur de la société suisse a pour sa part ratifié les contrats postérieurement.

Suite à des difficultés dans l’exécution des contrats, les parties décident de mettre un terme à leur relation par convention valant reconnaissance de dette pour un montant avoisinant USD 2’000’000.- en faveur de la société des BVI. Derechef, l’inconnu appose pour la société suisse sa propre signature à l’emplacement prévu pour l’administrateur de cette dernière sans, toutefois, que celui-ci ne ratifie la convention postérieurement.

Insatisfaite de l’exécution de la convention, la société des BVI intente une action en paiement contre la société suisse sur la base de celle-ci. Le Tribunal de première instance du canton de Genève ainsi que la Cour de justice rendent deux jugements par lesquels ils reconnaissent que la société suisse a été valablement représentée par l’inconnu et conséquemment est liée par la convention.

La Cour de justice, quant à elle, se fonde par analogie sur la jurisprudence en lien avec les art. 722 CO et 55 al. 2 CC selon laquelle un organe de fait peut engager la responsabilité délictuelle de la société.

Il revient donc au Tribunal fédéral de déterminer si une signature apposée par un inconnu, lequel ne revêt pas la qualité d’organe formel, au nom et pour le compte de la société engage cette dernière contractuellement.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que sont des organes capables de représenter une SA à l’égard de tiers au sens de l’art. 718 CO : le conseil d’administration, les membres délégués de celui-ci ou des tiers directeurs auxquels le conseil d’administration a délégué son pouvoir de représentation. Sont également aptes à représenter la société, les fondés de procuration et autres mandataires commerciaux selon l’art. 721 CO, mais encore toute personne ayant la qualité de représentant civil au sens des art. 32 ss CO. En l’espèce, le signataire n’était pas inscrit au registre du commerce ni nommé comme fondé de procuration ou mandataire commercial.

Contrairement à la Cour de justice, le Tribunal fédéral réfute une analogie avec la responsabilité délictuelle et justifie sa prise de position en deux temps.

Il commence par opérer une distinction entre la représentation pour la conclusion d’actes juridiques (art. 718 CO) d’une part et la responsabilité délictuelle de la société (art. 722 CO) et personnelle des gérants (art. 754 CO) d’autre part. En effet, la première a pour but de protéger le tiers de bonne foi en cas de limitation des pouvoirs internes des organes de la société (art. 718a al. 2 CO) tandis que la seconde est fondée sur le comportement des organes dans l’exercice général de leurs attributions. Une distinction subtile, ayant pour conséquence qu’un rapprochement entre les deux notions ne puisse être opéré. Ainsi, les conditions d’application de l’art. 722 CO, dont le fondement est l’inexistence d’une relation contractuelle entre les parties, ne peuvent être appliquées à l’établissement d’une capacité de représenter ayant pour conséquence que les parties soient contractuellement liées.

Dans un second temps, le fait qu’un organe de fait puisse engager la société envers les tiers est écarté par notre Haute Cour. Cela car une telle prérogative fondée sur l’art. 718 CO est attribuée au conseil d’administration, lequel remplit deux conditions essentielles à savoir être élu et dûment inscrit au registre du commerce. Une telle attribution ne peut donc pas être déléguée à un organe de fait, qui, bien que par son comportement donne l’apparence d’une telle substitution, ne satisfait pas aux deux présentes conditions. À titre d’exemple, l’actionnaire unique ou majoritaire s’immisçant dans la gestion de la SA n’acquiert pas pour autant la qualité d’organe et par conséquent ne peut pas engager contractuellement la société.

Finalement, le Tribunal fédéral clôt son raisonnement en ouvrant la porte de la représentation civile (32 ss CO). L’instance de recours cantonale étant partie de la prémisse que le signataire avait agi en qualité d’organe de fait et n’ayant pas analysé cette question, la cause est renvoyée devant celle-ci pour nouvelle décision.

Bien que, par ce renvoi, l’affaire ne soit pas close, le présent arrêt apporte une clarté non négligeable sur l’étendue des actes effectués par des organes aussi bien formels que matériels pouvant être imputés à une société.

L’interprétation du Tribunal fédéral concernant l’art. 718 CO revient à mettre au premier plan le principe de publicité du registre du commerce. Le tiers contractant avec une société se voit ainsi enjoint de se fier aux indications du registre du commerce ou à celles du conseil d’administration. Dès lors, il apparait convaincant de ne pas élargir le cercle des représentants d’une société au sens de l’art. 718 CO aux organes de fait, étant rappelé que cela n’écarte ni la possibilité pour ces derniers d’engager la responsabilité délictuelle de la société sur la base de l’art. 722 CO ni une potentielle représentation de la société fondée sur les art. 32 ss CO.