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Échange automatique de renseignements

Quelles voies de droit pour s’opposer à l’échange ?

Dans le cadre de l’échange automatique de renseignements (EAR), auprès de quelle autorité un intéressé peut-il invoquer une mauvaise application du Common Reporting Standard (CRS) par une banque suisse, qui remettrait à tort des informations bancaires à l’Administration fédérale des contributions (AFC) ?

Dans son arrêt A-88/2020 du 1er septembre 2020 (publié le 16 septembre 2020 et attaqué au Tribunal fédéral), le Tribunal administratif fédéral (TAF) a abordé pour la première fois la question, éclairant les arcanes procéduraux en la matière.

L’EAR est régi par des accords internationaux, complétés par des règles en droit national (notamment celle prévues par la LEAR). En particulier, l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’EAR (Multilateral Competent Authority Agreement, MCAA) prévoit, en tant qu’accord international, que les États doivent échanger les renseignements collectés selon les règles du CRS, qui règle pour sa part de façon détaillée qui doit collecter quels renseignements sur quels comptes. Le CRS, qui est joint au MCAA, définit en particulier les obligations de diligence raisonnable que les institutions financières déclarantes (par exemple les banques) doivent appliquer pour identifier les comptes déclarables.

La présente cause concerne des informations bancaires relatives à X. (avec siège aux Bahamas), titulaire d’un compte auprès de la banque suisse B., et à A., identifié comme résident en Argentine. Selon A., les informations, son identité notamment, ne doivent pas être transmises à l’Argentine ; les règles du CRS auraient été mal appliquées par la banque, qui aurait à tort qualifié X. d’entité non financière passive (cette qualification implique ici qu’il faut encore identifier la personne en détenant le contrôle). Lui-même, A., en tant que personne en détenant le contrôle, ne serait pas une personne devant faire l’objet d’une déclaration. En définitive, à suivre A., on ne serait pas en présence d’un compte déclarable (voir section 2 par. 2 du MCAA, qui régit les renseignements à échanger concernant chaque compte déclarable). A. s’est adressé le 7 août 2019 à l’AFC, après transfert à elle des données bancaires par la banque. L’AFC a rejeté ses conclusions par décision du 15 novembre 2019, soulignant de plus que les informations avaient déjà été envoyées à l’Argentine.

Le TAF donne tort à A. Les motifs du rejet du recours, s’ils relèvent essentiellement de la forme, nous renseignent sur les moyens judiciaires à disposition des intéressés pour invoquer la bonne application du CRS, respectivement de l’EAR.

Le cœur de la discussion se trouve à l’art. 19 LEAR, qui régit les « prétentions et procédures en matière de protection des données ». L’al. 1 dispose que « [p]our ce qui est des renseignements collectés par l’institution financière suisse déclarante et de leur transmission aux autorités compétentes de l’État partenaire, les personnes devant faire l’objet d’une déclaration disposent des droits définis dans la LPD ». L’al. 2 de cet article prévoit que « [l]es personnes devant faire l’objet d’une déclaration ne peuvent faire valoir auprès de l’AFC que leur droit d’accès et ne peuvent demander que la rectification de données inexactes en raison d’une erreur de transmission. Si la transmission de données entraîne pour la personne devant faire l’objet d’une déclaration un préjudice déraisonnable par manque de garanties de l’État de droit, les prétentions visées à l’art. 25a [PA, décision relative à des actes matériels] sont applicables ».

L’art. 19 LEAR a déjà fait l’objet d’amples discussions en doctrine, essentiellement en raison des compétences qu’il attribue à la juridiction civile – plutôt qu’administrative – et des restrictions qu’il prévoit en matière d’accès au juge. Cela précisé, d’une part, le TAF interprète l’art. 19 al. 1 LEAR en ce sens que les droits définis dans la LPD doivent en principe être invoqués contre la banque elle-même, le cas échéant devant les tribunaux civils (voir art. 15 LPD). Cette voie civile doit être suivie dans les cas où, par exemple, des données auraient été mal enregistrées ou mal interprétées par la banque.

D’autre part, selon le TAF, l’art. 19 al. 2 LEAR ne prévoit qu’une voie de droit restreinte. L’AFC ne peut donc pas procéder sur cette base à un examen matériel des données ; elle ne peut connaître que de griefs relatifs à une erreur de secrétariat, qui peut être immédiatement prouvée (« Kanzleifehler […], deren Fehlerhaftigkeit sofort bewiesen werden kann »). Par exemple, une erreur se produit lors de la transmission de données de la banque à l’AFC s’il est indiqué que le solde du compte s’élève à CHF 10’000 au lieu de CHF 1’000. Au surplus, l’art. 19 al. 2 2e phrase LEAR s’interprète en ce sens qu’il permet une protection en présence de motifs sérieux et concrets de violation d’une règle d’ordre public (garanties de la CEDH et du Pacte ONU II).

En l’espèce, des griefs consistant à contester la qualité d’une entité non financière passive et de personne devant faire l’objet d’une déclaration selon le CRS ne peuvent en principe être soulevés devant l’AFC. Quant aux doléances relatives à la protection des données, soi-disant insuffisante en Argentine, le TAF les écarte, relevant notamment que les garanties du Pacte ONU II valent en Argentine.

A nos yeux, l’arrêt du TAF éclaire pertinemment la distinction légale entre le volet civil et le volet administratif d’un litige potentiel relatif à l’application du CRS. Si un intéressé veut se plaindre de la mauvaise application du CRS par une banque, il doit faire usage de la voie civile, conformément aux formes prévues par la législation applicable, notamment dans la LPD ; il aura en effet, en principe, été informé par l’institution financière suisse déclarante du transfert envisagé (voir art. 14 LEAR). L’intéressé ne peut certes choisir le moment lors duquel il invoque son grief en le soulevant seulement devant l’AFC, rendue destinataire des informations. Cela dit, rappelons ici que le droit à l’autodétermination informationnelle, qui découle des art. 8 CEDH et 13 Cst. (comme rappelé récemment par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 2C_376/2019 du 13 juillet 2020 [destiné à la publication] consid. 7.2), s’applique en matière d’échange de renseignements. Or, le TAF ne nous paraît pas défavorable à une facilitation de l’accès au juge, en ce sens qu’il indique que ce droit à l’autodétermination fait partie de l’ordre public.

Nous ne discuterons pas ici l’opportunité du choix législatif consistant à transférer la compétence pour connaître des litiges en matière de CRS à la juridiction civile. En revanche, relevons que le TAF laisse plusieurs questions ouvertes. Notamment, le TAF ne tranche pas la question de savoir si l’art. 19 al. 2 LEAR devrait être interprété largement, comme plaidé en doctrine, de manière à accorder une protection judiciaire plus étendue que ne le laisserait comprendre le texte légal restrictif. Qu’en serait-il, par ailleurs, si une banque devait transmettre à tort des informations à l’AFC en raison d’une erreur de programmation, ou même dans le non-respect d’un hypothétique jugement civil ? De plus, le TAF n’entend pas à ce stade trancher la question de l’utilité de la correction demandée dans un cas où, comme ici, les informations ont déjà été envoyées à l’étranger. Il faut donc s’attendre à ce que l’arrêt discuté, quoiqu’utile et équilibré, fasse l’objet de développements ultérieurs.