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Politique suisse en matière de sanctions

Améliorations et lacunes dans la mise en œuvre

La Commission de gestion du Conseil des États (CdG-E) a publié le 14 novembre 2023 son rapport de contrôle de suivi sur la participation de la Confédération à l’application des sanctions économiques.

Suite aux critiques récurrentes concernant la politique suisse en la matière, pour certains trop strictes, pour d’autres trop laxistes, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) avaient décidé déjà en 2016 de charger le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) d’évaluer la participation de la Confédération à l’application de sanctions économiques. L’objet a été attribué à la CdG-E. Dans son rapport de 2018, celle-ci avait formulé cinq recommandations au Conseil fédéral :

  • L’application transparente des critères utilisés pour évaluer l’opportunité d’ordonner des sanctions ;
  • L’examen des instruments de contrôle et de leur utilisation ;
  • L’examen de la qualité des données dans le domaine des déclarations douanières et leur amélioration ;
  • La valorisation systématique des informations issues des données douanières et des systèmes de déclaration et d’autorisation ;
  • Le renforcement de la surveillance et de la coordination exercées par le SECO.

Suite à l’avis du Conseil fédéral, la CdG-E a publié un rapport succinct le 26 mars 2019 et clos son inspection. La reprise des sanctions de l’Union européenne (UE) contre la Russie a mené la CdG-E à lancer un contrôle de suivi.

S’agissant de ses recommandations de 2018, la CdG-E arrive à la conclusion que les données de base concernant l’application de sanctions économiques ont été améliorées et que la circulation des marchandises est contrôlée de manière plus précise.

S’agissant spécifiquement des mesures en lien avec la situation en Ukraine, la CdG-E estime que la reprise par le Conseil fédéral des sanctions ordonnées par l’UE s’est faite de manière adéquate. Elle reconnaît également le travail du SECO, soumis à d’importants défis en matière de ressources. Selon le Conseil fédéral, l’Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (O-Ukraine) est l’ordonnance la plus complète et détaillée que le Conseil fédéral ait adopté pour la reprise de sanctions et son exécution pose ainsi des défis en partie inédits.

La CdG-E identifie toutefois des lacunes et a formulé les recommandations suivantes :

  • Précision du champ d’application de l’obligation de déclarer des avocats : Le doute suscité par les déclarations du Conseil fédéral concernant la nécessité d’une clarification jurisprudentielle des limites de l’obligation de déclaration prévue à l’art. 16 O-Ukraine aux avocats est problématique. La CdG-E recommande que le cadre légal de l’obligation de déclarer et son rapport avec le secret professionnel de l’avocat soient définis de manière suffisamment précise pour éviter toute ambiguïté.
  • Intégration du rôle des cantons dans la mise en œuvre des sanctions : Plusieurs cantons n’étaient pas au fait de leur rôle en la matière et la CdG-E recommande une meilleure intégration.
  • Clarification du rôle du registre foncier dans la mise en œuvre des sanctions : La CdG-E relève en particulier un doute sur les bases légales applicables à la mention d’un blocage dans le registre foncier et suggère d’examiner l’opportunité d’une base légale donnant au SECO la compétence de valider les acquisitions en lien avec des sanctions.
  • Évaluation de l’adéquation du concept de crise du SECO : La CdG-E considère que le SECO a parfois réagi tardivement aux incertitudes en lien avec l’obligation d’annoncer, la mention d’un blocage au registre foncier et les obligations incombant aux avocats. La CdG-E invite le Conseil fédéral à évaluer l’adéquation du concept de crise du SECO et à veiller à ce que celui-ci soit plus flexible et réactif en période de crise.
  • Amélioration de la garantie de l’État de droit en lien avec le listing des personnes sanctionnées : Selon les explications du SECO, la Confédération reprend telle quelle la liste des personnes sanctionnées de l’UE car la Suisse ne dispose pas des informations nécessaires via le Service de renseignement de la Confédération (SRC) pour évaluer une par une toutes les occurrences sur ces listes. La CdG-E estime que cette manière de faire soulève des questions du point de vue de l’État de droit. Elle relève également que si les personnes concernées peuvent demander un delisting, ce processus est fastidieux. De plus, la nature politique des sanctions économiques fait que cette possibilité n’est pas une voie de droit et que souvent, la reprise rapide des sanctions et des listes correspondantes prime d’autres considérations. La CdG-E demande au Conseil fédéral d’examiner comment le bien-fondé matériel et la conformité au droit de la liste des personnes sanctionnées établie par l’UE et reprise par la Suisse peuvent être garantis et améliorés. Elle demande en outre au Conseil fédéral d’examiner comment améliorer le contrôle juridictionnel de cette conformité au droit et la rapidité des procédures de contrôle qui s’y rapportent.

Le rapport mentionne également la position du Conseil fédéral sur plusieurs problématiques récurrentes :

  • L’overcompliance de grandes banques suisses qui appliquent des sanctions internationales en plus de celles ayant un caractère contraignant en Suisse. Les banques sont en effet tenues, en vertu du droit de la surveillance, de déterminer, limiter et contrôler les risques juridiques et de réputation. Ces risques peuvent également découler de législations étrangères, sanctions comprises. La jurisprudence a jusqu’à présent établi que l’application des sanctions étrangères par les banques et les entreprises en Suisse est, dans certains cas, conforme au droit suisse.
  • La primauté de l’obligation de dénoncer (art. 16 O-Ukraine) sur le secret fiscal.
  • La confiscation des avoirs gelés pour la reconstruction de l’Ukraine qui a été considérée comme contrevenant au droit en vigueur et en particulier aux garanties constitutionnelles.

Le rapport apporte une vue d’ensemble utile de l’application des sanctions par la Suisse et pointe sur des lacunes importantes du système actuel. Un point qui n’est pas abordé est celui de l’interdiction de fournir certains services juridiques prévus à l’art. 28e O-Ukraine dont le pendant européen fait actuellement l’objet d’un recours en annulation initié par les barreaux belges et le barreau de Paris, soutenu notamment par l’Ordre des avocats de Genève.

Bien que légitimes sur le principe, les sanctions doivent respecter les garanties d’un État de droit, ce que rappelle utilement la CdG-E. Le Conseil fédéral doit prendre position sur les recommandations de la CdG-E d’ici au 15 février 2024. Il faut donc compter avec de futurs rebondissements dans le droit suisse des sanctions.