Virements bancaires
Les paiements instantanés sont désormais possibles en Suisse
Philipp Fischer
Le 20 août 2024, la Suisse entre dans une nouvelle ère dans le domaine des virements, avec l’introduction des paiements instantanés (les Instant Payments). Environ 70 banques (représentant plus de 98 % des paiements en Suisse) acceptent désormais de tels paiements « en temps réel ». L’implémentation technique des paiements instantanés en Suisse repose sur la nouvelle plateforme de paiement « SIC5 », développée par SIX, l’opérateur de la bourse suisse, et la Banque nationale suisse (BNS).
Les paiements instantanés arrivent tardivement en Suisse. En effet, ce système est déjà monnaie courante dans divers pays, notamment en Asie. L’UE connaît également ce service depuis 2017, aujourd’hui sur une base facultative. Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 26 février 2024 le règlement sur les paiements instantanés. Les prestataires de services de paiement concernés devront proposer une offre de réception de paiements instantanés avant le 9 janvier 2025 et une offre d’envoi de paiements instantanés dès le 9 octobre 2025. En outre, le règlement stipule que les frais des paiements instantanés ne doivent pas être supérieurs à ceux des virements standards.
A noter qu’en Suisse, l’application TWINT permet déjà de transférer de l’argent immédiatement. Cependant, la limite est fixée à CHF 5’000.- par virement. De plus, la transaction n’est, dans la plupart des cas, pas effectuée directement. En effet, si les clients peuvent disposer du montant en quelques secondes, la compensation des paiements est réglée de manière différée entre les banques via SIC. L’opération via TWINT repose donc sur une promesse de paiement entre les banques : il en résulte ainsi un risque de crédit.
Contrairement aux virements bancaires traditionnels, les paiements instantanés permettent de débiter immédiatement le compte du donneur d’ordre et de bonifier en quelques secondes de façon définitive le montant correspondant sur le compte du bénéficiaire. Les clients des banques, qu’il s’agisse des donneurs d’ordre ou des bénéficiaires des paiements, disposent d’un solde toujours actualisé de leur compte. Dans un premier temps, la limite est fixée à CHF 20’000.- par virement.
Dans une perspective pratique, les paiements instantanés faciliteront les transactions avec les consommateurs (B2C) qui doivent être réalisées sur une base de « Zug um Zug ». On peut penser à l’achat d’un bien de consommation courante sur un site Internet, dans le cadre duquel un paiement instantané permet au fournisseur d’optimiser la gestion de son stock, comme le rappelait la BNS dans une présentation consacrée à la Swiss Payments Vision, dont les paiements instantanés sont une composante. Dans le cadre des transactions entre entreprises (B2B), les paiements instantanés devraient permettre une meilleure gestion des flux de trésorerie et une réduction du risque de crédit.
En Suisse, l’introduction des paiements instantanés soulève plusieurs questions juridiques et opérationnelles importantes pour les banques :
- D’un point de vue réglementaire, un des aspects les plus intéressants de l’introduction des paiements instantanés en Suisse réside dans l’approche adoptée. Contrairement à d’autres pays où les paiements instantanés étaient d’abord volontaires, la Suisse a directement opté pour une obligation réglementaire, en tout cas pour les paiements entrants. Cette obligation, en vigueur dès ce jour, concerne initialement environ 70 banques, lesquelles traitent plus de 98 % du trafic des paiements en Suisse. Les petits instituts financiers, qui effectuent moins d’un demi-million de paiements par année, disposent d’un délai jusqu’à fin 2026 pour mettre en œuvre cette nouvelle prestation. En revanche, contrairement à la règlementation proposée au sein de l’UE, la règlementation suisse n’impose pas une tarification équivalente des virements standards et des paiements instantanés.
- D’un point de vue technique, les paiements instantanés impliquent des ajustements significatifs. Ces ajustements concernent la comptabilisation, la gestion des risques et les systèmes de gestion de trésorerie, qui doivent désormais être opérationnels 24h/24, afin de respecter les délais de traitement. Cela nécessite des systèmes informatiques conçus de manière redondante, raison pour laquelle SIC5 offre deux accès indépendants à ses participants afin de leur assurer une connexion ininterrompue.
- D’un point de vue juridique, l’introduction des paiements instantanés pose des défis particuliers en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude, ainsi que de respect des sanctions. Les banques doivent donc ajuster leurs systèmes de filtrage pour bloquer les transactions suspectes de manière efficace dans le délai de 10 secondes. Un filtrage trop permissif exposerait les banques à des risques de conformité, tandis qu’un filtrage trop strict risquerait de bloquer des paiements légitimes. Il paraît indispensable de recourir à des outils de filtrage électronique, notamment basés sur l’intelligence artificielle, ce qui aura des implications règlementaires (sur le EU AI Act, cf. Fischer/Caballero Cuevas in : cdbf.ch/1359/) et de protection des données.
- Du point de vue du client, les paiements instantanés présentent un risque, car la vitesse d’exécution empêche le client d’« arrêter » un virement non souhaité. Certaines banques ont choisi d’avertir le client de ce risque dans leurs conditions générales.
Au niveau des services de paiement, la mise en place des paiements instantanés ne marque pas la fin des chantiers règlementaires. Le 28 juin 2023, la Commission européenne a publié ses propositions pour une directive révisée sur les services de paiement (PSD3) et un Règlement sur les services de paiement (RSP). La modification la plus âprement débattue concerne une obligation, à charge des prestataires de services de paiement, de rembourser les clients qui ont été victimes d’une usurpation d’identité non détectée (cf. art. 59 RSP). Les textes définitifs de la PSD3 et du RSP sont attendus d’ici la fin de l’année 2024 ou en début 2025.