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Défaut de remboursement

Plusieurs options à disposition de la banque

Dans l’arrêt ACJC/201/2024 du 13 février 2024, la Cour de justice genevoise confirme la validité d’une clause d’exclusion du bénéfice de discussion réelle (beneficium excussionis realis) selon laquelle la banque est libre de choisir entre agir contre le client personnellement (et s’en prendre ainsi à l’ensemble de son patrimoine) ou réaliser les actifs nantis de son compte bancaire.

Les faits sont les suivants :

Le 4 mai 2013, un client saoudien conclut un accord-cadre de facilités de crédit et un acte de nantissement par lequel il nantit en faveur de la banque tous ses avoirs détenus auprès d’elle. La banque est consciente que le client, bien que milliardaire, fait face à un problème d’équilibre entre le volume d’actifs liquides et illiquides.

Le 20 novembre 2013, l’hoirie de feue la mère du client ouvre un compte bancaire au sein de la banque, sur lequel une somme de USD 150’000’000.- est versée le 2 décembre 2013. Le 25 décembre, l’hoirie signe un contrat de nantissement par lequel l’intégralité des avoirs du compte est nantie en faveur de la banque en garantie de toutes créances actuelles et futures contre le client. Les deux actes de nantissement sont similaires et comprennent les clauses suivantes :

    1. « 7. (…) la Banque peut, à concurrence du montant de ses créances, soit réaliser immédiatement de gré à gré les sûretés de son choix (y compris s’en porter acquéreur) et cela sans aucune responsabilité de sa part et sans recourir aux formalités prévues par la [LP] (…), soit engager une poursuite par voie de réalisation de gage ou par voie de faillite, qu’il s’agisse d’un gage mobilier ou immobilier.
    (…)
    1. 11. La Banque ne peut pas être tenue responsable du fait qu’elle n’exercerait pas ou que partiellement les droits qui lui appartiennent en vertu du présent acte de nantissement. Le [Client] (…) déclare d’ores et déjà renoncer à élever toute exception ou objection de ce chef. »

En application de l’accord-cadre, le client reçoit au total USD 43’424’000.- et CHF 1’422’000.-. Dès l’été 2018, la banque constate que le compte personnel du client n’est plus alimenté et qu’il est fortement endetté. Le 4 septembre 2018, la banque dénonce les crédits (échus au 9 août 2018) pour le 4 mars 2019. Aucun remboursement n’étant intervenu, la banque intente une demande en paiement à l’encontre du client le 29 avril 2020 et obtient gain de cause en première instance.

Dans la procédure d’appel, le client soutient que la banque a violé son devoir de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO) en ne réalisant pas en priorité les avoirs nantis du compte de l’hoirie. Elle devrait donc être tenue de réparer le dommage subi par le client, équivalent en l’occurrence aux intérêts moratoires sur le montant des crédits.

La Cour de justice énonce les conditions de la responsabilité contractuelle de la banque (art. 398 al. 1 cum 321e al. 1 cum 97 al. 1 CO) en rappelant la jurisprudence fédérale selon laquelle en l’absence de contrat de conseil en placement ou de mandat de gestion, la banque n’est pas tenue par un devoir général de sauvegarder les intérêts de son client (TF 4A_369/2015 du 25 avril 2016, consid. 2.3). Elle relève également que le contrat de nantissement n’imposait pas un tel devoir à la banque.

La Cour poursuit par qualifier la clause n°11 des actes de nantissement (reproduite ci-dessus) de clause d’exclusion du bénéfice de discussion réelle. Le client avait en effet renoncé à la possibilité d’exiger du créancier qu’il se désintéresse d’abord sur les biens remis en gage avant d’agir contre lui personnellement (comme cela aurait pu être le cas en l’absence d’une telle clause et par l’application de l’art. 41 al. 1bis LP). En vertu de cette clause n°11, la banque avait donc le droit et non l’obligation de procéder à la réalisation des avoirs nantis. Aucune violation contractuelle ne pouvant être reprochée à la banque, la Cour condamne le client à rembourser les crédits obtenus.

Cette jurisprudence cantonale s’inscrit dans la lignée des arrêts du Tribunal fédéral (ATF 140 III 180, TF 5A_295/2012 du 9 octobre 2012, TF 5A_863/2009 du 15 janvier 2010).

La clause d’exclusion étant quasi systématiquement intégrée dans la documentation contractuelle des banques, elle fait du bénéfice de discussion réelle l’exception plutôt que la règle. Dans ce contexte, il est important pour le client (qui ne dispose souvent en pratique que d’un pouvoir de négociation réduit) d’être conscient du choix discrétionnaire dont dispose la banque en cas de défaut de remboursement et des conséquences qui peuvent en découler.

Rappelons enfin que le client n’aurait pas pu exciper à la banque ni l’argument de la règle de la clause insolite ni l’argument de la clause déloyale (art. 8 LCD). Notre Haute Cour a en effet tranché cette question en affirmant qu’une clause de renonciation générale au bénéfice de discussion réelle ne peut être qualifiée d’insolite ou de déloyale dans le cadre d’une relation bancaire (TF 7B.249/2003 du 7 janvier 2004, consid. 5).