Crédit hypothécaire
Un retard payé, une résiliation invalidée

Besart Buci
À défaut d’une mention expresse dans le contrat, une banque ne peut pas résilier de manière anticipée un crédit hypothécaire lorsque, au moment de la résiliation, il n’existe plus de retard de paiement (4A_599/2024 du 26 mai 2025).
En août 2021, une banque conclut un contrat de financement hypothécaire avec une société et propose une ligne de crédit d’un montant maximum de CHF 4’552’500.-. L’art. 7 du contrat stipule que la dette doit être réduite par des amortissements annuels de CHF 52’500.-, le premier étant prévu le 30 septembre 2022. À titre de garantie, la société transfère à la banque deux cédules hypothécaires de registre pour un montant total de CHF 4’552’500.-.
L’art. 9 du contrat prévoit des possibilités de résiliation extraordinaire avec effet immédiat, notamment « en cas de retard de plus de 30 jours dans le paiement des intérêts, amortissements, commissions, indemnités ou autres frais accessoires » (« Bei Verzug von mehr als 30 Tagen in der Zahlung von Zinsen, Amortisationen, Kommissionen, Entschädigungen oder sonstigen Nebenkosten »).
La société ne respecte pas l’échéance du premier amortissement et reçoit plusieurs rappels (17 octobre 2022, 14 décembre 2022 et 1er février 2023), le dernier fixant un ultime délai au 10 février 2023. Le 27 février 2023, la société informe avoir procédé au paiement. La banque la remercie pour le paiement dans un courriel du 6 mars 2023 et le comptabilise avec valeur au 9 mars 2023.
Malgré ce paiement, la banque résilie le contrat de manière extraordinaire par courrier du 20 mars 2023, en se fondant sur l’art. 9 du contrat et en invoquant le retard de la société depuis le 30 septembre 2022. Elle exige le remboursement intégral du crédit et résilie les deux cédules hypothécaires avec un préavis de six mois.
Dans le cadre d’une procédure en réalisation de gage immobilier, le Bezirksgericht de Dielsdorf (ZH) prononce la mainlevée provisoire de l’opposition formée par la société. Cette décision est confirmée par l’Obergericht zurichois.
La société recourt au Tribunal fédéral et invoque une violation de l’art. 9 du contrat. Elle soutient que la possibilité de résilier le contrat selon cet article suppose que le retard de paiement existe encore au moment de la résiliation. Ce droit s’est donc éteint lorsque la société a procédé au paiement de l’amortissement le 9 mars 2023.
Dans son analyse, le Tribunal fédéral interprète l’art. 9 du contrat selon le principe de la confiance et retient que le libellé de cette clause indique de manière claire que le retard du débiteur doit encore exister au moment de la résiliation (« en cas de retard de plus de 30 jours »). Cette formulation suppose ainsi l’existence d’un retard de paiement.
Le Tribunal fédéral rejette également l’analogie faite par l’instance précédente avec l’art. 257d al. 2 CO, selon lequel le bailleur conserve son droit de résiliation extraordinaire du contrat de bail même si le locataire ne paie qu’après l’expiration du délai supplémentaire fixé. Il relève que le libellé de cette disposition diffère de celui de l’art. 9 du contrat.
Le Tribunal fédéral relève enfin que, même à supposer la validité de la résiliation extraordinaire en dépit d’un paiement tardif, il ne serait pas possible, contrairement à ce qu’estiment les instances précédentes, de nier sans autre l’existence d’un abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Un tel abus aurait en effet été retenu, dès lors que la société pouvait considérer, en toute bonne foi, sur la base du courriel de la banque du 6 mars 2023 (dans lequel aucune éventuelle résiliation extraordinaire n’était évoquée), que l’affaire était réglée et que le financement serait maintenu. Dans ces circonstances, la résiliation postérieure aurait ainsi été perçue comme un comportement contradictoire, constitutif d’un abus de droit.
Le recours est admis, la résiliation extraordinaire du crédit hypothécaire n’étant pas valable.
Cet arrêt, qui rappelle des principes de base de l’interprétation contractuelle, ne suscite à notre avis pas d’observations particulières. On pourrait être tenté d’y voir l’expression d’une protection plus étendue en droit bancaire qu’en droit du bail. À la différence de l’art. 257d al. 2 CO qui permet au bailleur de résilier même si le locataire s’acquitte de sa dette après l’expiration du délai comminatoire, cette décision pourrait insinuer que la validité d’une résiliation anticipée d’un crédit est conditionnée au maintien du retard de paiement. Une telle lecture serait néanmoins erronée. Il nous semble en effet que le Tribunal fédéral ne consacre pas ici une protection particulière de l’emprunteur, partie réputée « faible » du contrat. La décision repose plutôt sur une interprétation stricte du contrat de crédit hypothécaire selon le principe de la confiance et sur le respect de la bonne foi contractuelle (art. 2 al. 1 CC).