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Protection des données

Rectification de la désignation d’un ayant droit économique

Dans l’arrêt ACJC/805/2025 du 16 juin 2025, la Cour de justice du canton de Genève se prononce sur une action en rectification de données personnelles introduite dans un contexte bancaire. Cet arrêt, qui constitue à notre connaissance l’une des premières jurisprudences publiées portant sur une telle action dans le domaine bancaire, soulève des questions d’application de la loi fédérale sur la protection des données (LPD) révisée, en lien avec la désignation d’un ayant droit économique. L’arrêt, désormais entré en force, confirme le jugement de première instance et précise les exigences de preuve qui conditionnent l’exercice du droit à la rectification.

Le litige trouve son origine dans une relation bancaire ouverte en 2008 par l’administratrice d’une société offshore. Lors de l’ouverture du compte, cette dernière avait désigné son mari, leurs enfants et elle-même comme ayants droit économiques des avoirs déposés, en remplissant un formulaire A. En 2016, un nouveau formulaire A avait été signé par l’épouse, cette fois en désignant uniquement le couple comme ayants droit économiques. Une attestation complémentaire avait également été remise en 2017, cette fois signée par leur comptable, confirmant que les époux étaient les seuls ayants droit économiques du compte. C’est sur la base de ces déclarations que la banque a renseigné l’administration fédérale des contributions (AFC) dans le cadre d’une demande d’assistance administrative fiscale émanant d’un État étranger. Estimant ne jamais avoir eu la qualité d’ayant droit économique, le mari a, plusieurs années après la clôture du compte, introduit une action tendant à la rectification des données bancaires, exigeant qu’il n’apparaisse plus comme ayant droit économique du compte en question et que cette modification soit communiquée à l’AFC. Subsidiairement, il demandait que la donnée soit assortie de la mention « contestée par l’intéressé ». Le Tribunal de première instance l’a débouté de l’ensemble de ses conclusions, jugement confirmé par la Cour de justice.

La Cour relève que la LPD révisée est applicable à la cause. Elle retient que la donnée litigieuse, à savoir la désignation de l’appelant comme ayant droit économique d’un compte bancaire, constitue une donnée personnelle au sens de l’art. 5 let. a LPD, et que son traitement par la banque entre dans le champ d’application de cette loi. Le droit à la rectification découle du principe d’exactitude des données personnelles, consacré à l’art. 6 al. 5 LPD. Le responsable du traitement doit veiller à ce que les données soient exactes et, le cas échéant, prendre toutes mesures appropriées pour rectifier, effacer ou détruire celles qui sont inexactes. Ce principe n’est pas absolu, il s’apprécie à la lumière du principe de proportionnalité, en tenant compte des circonstances concrètes, de la finalité du traitement, du type des données traitées et du risque d’atteinte à la personnalité.

Sur la base de l’art. 32 al. 2 LPD, qui renvoie aux art. 28 ss CC, la personne concernée peut requérir la rectification de ses données. Lorsque l’exactitude ne peut être établie ni infirmée, elle peut également demander qu’une mention signalant le caractère contesté de la donnée soit ajoutée (art. 32 al. 3 LPD). La Cour précise que le droit à la rectification, en tant que tel, s’exerce indépendamment d’une atteinte à la personnalité au sens de l’art. 30 LPD. Les éventuelles justifications du traitement (art. 31 LPD), telles que le consentement, un intérêt prépondérant ou une obligation légale, ne sont pas opposables lorsqu’une donnée s’avère inexacte. La Cour souligne que la personne qui requiert la modification doit collaborer à la procédure en produisant les éléments propres à démontrer l’inexactitude alléguée.

En l’espèce, la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si une rectification pourrait être ordonnée en application de la LPD, dès lors qu’elle estime que la donnée en cause est manifestement exacte. Cette appréciation repose sur plusieurs éléments : deux formulaires A signés par l’épouse de l’appelant, une déclaration manuscrite rédigée et signée par les deux époux à la demande de la banque, une attestation émanant de leur comptable, ainsi que les interventions de l’appelant dans la gestion de la relation bancaire, notamment en lien avec la contestation de frais. La Cour rappelle que la qualité d’ayant droit économique s’apprécie à l’aune du pouvoir effectif de disposer des avoirs, indépendamment de l’origine des fonds. Que ceux-ci proviennent de la fortune de l’épouse est indifférent, si l’appelant exerçait en pratique un contrôle sur le compte.

L’arrêt clarifie les contours du principe d’exactitude et du droit à la rectification dans le cadre de la LPD révisée et en précise les conditions d’exercice dans un contexte bancaire. Il rappelle qu’une donnée n’a pas à être rectifiée ou annotée dès lors qu’elle repose sur une documentation claire et cohérente, et que la personne concernée ne parvient pas à en établir l’inexactitude. La charge de la preuve incombe au demandeur, tandis que le responsable du traitement doit démontrer sa diligence. S’agissant de la qualité d’ayant droit économique, la Cour applique la jurisprudence du Tribunal fédéral, alignée sur les standards du Groupe d’Action Financière (GAFI), en retenant une approche fonctionnelle fondée sur le contrôle effectif des avoirs. Pour les établissements financiers, cet arrêt souligne l’importance de constituer et de conserver une documentation rigoureuse. Dans un contexte où les actions en rectification de données personnelles fondées sur la LPD pourraient se multiplier, notamment pour contester la qualité d’ayant droit économique, il est essentiel que les établissements financiers soient en mesure de justifier l’exactitude des données collectées.