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Blanchiment d’argent

Typologies négatives du MROS, outil bienvenu ou fausse bonne idée ?

Le MROS publie des « Typologies négatives ». L’objectif est de sensibiliser les intermédiaires financiers (IF) à la substance des clarifications et à l’amélioration de la qualité des données pour permettre un traitement efficient de celles-ci, ce qui doit être salué. Il n’est pas certain qu’il soit atteint, tant certaines typologies laissent les praticiens perplexes. Quelques réflexions du point de vue de la pratique sur certaines des typologies publiées le 16 septembre 2025.

Typologie 2 : En l’absence de lien avec une organisation criminelle, il paraît logique de ne pas communiquer si on établit que les valeurs patrimoniales d’un client mis en cause sont sans rapport avec les faits reprochés. Cependant, le Rapport MROS 2002 (ch. 3.4), cité récemment par le DFF, indique « dans la mesure où ce ne sont pas les valeurs patrimoniales mais bien une ou plusieurs personnes qui ont procédé aux actes criminels, il y a lieu, logiquement, de tenir compte des personnes et de leurs actes. Dès lors, l’intermédiaire financier qui se borne à considérer uniquement les transactions sans tenir compte des aspects personnels et de l’arrière-plan économique n’effectue pas une analyse suffisante et ne remplit pas les obligations de diligence qui lui incombent ». S’il s’agit d’un changement de pratique du MROS, ceci devrait être explicité.

Typologie 3 : L’IF est invité à renoncer à communiquer s’il ne trouve pas « d’informations supplémentaires propres » après qu’il a répondu à une ordonnance d’une autorité. La réalité est plus complexe. Quid si la procédure est dirigée contre inconnu et munie d’une interdiction d’informer, de sorte qu’il est impossible d’interroger le client pour évaluer s’il est mis en cause, lésé ou simple tiers ? Quid de l’indice de blanchiment de capitaux qualifié 4.6 de l’Annexe à l’OBA-FINMA qui aux yeux de certaines autorités impose une communication (voir Typologie 2) ? Si, malgré une analyse, l’IF ne trouve rien, peut-il raisonnablement renoncer à communiquer sans courir un risque de violer l’obligation de communiquer, au motif qu’il « aurait dû savoir » alors qu’il n’a pas les moyens des autorités ?

Typologie 7 : La constitution de caisses noires dans le domaine commercial implique en principe des infractions avant que l’acte corruptif soit commis. Les liquidités dégagées pour corrompre sont d’une façon ou d’une autre détournées de leur but légal (gestion déloyale), respectivement nécessitent des acrobaties comptables constitutives de faux dans les titres. Dans son Rapport annuel 2009 (p. 84), le MROS avait déjà corrigé sa position suite à l’intervention du MPC. Pour le surplus, considérant les suites de l’affaire Petrobras, un IF qui identifie un état de fait dont il ne peut exclure qu’il ait un lien – même ténu – avec une affaire de corruption internationale d’ampleur, peut-il raisonnablement renoncer à communiquer ? Qu’en pensent la FINMA, le DFF et le MPC ?

Typologie 8 : La Suisse accorde l’entraide pénale, voire l’extradition, pour des délits boursiers liés à des titres cotés à l’étranger. En matière de blanchiment, l’élément constitutif de l’infraction préalable est rempli si l’infraction est commise à l’étranger et qu’elle y est punissable. La condition de double incrimination est interprétée de façon abstraite. L’affirmation qu’aucune communication ne serait requise pour des délits boursiers portant sur des titres pas cotés en Suisse interroge. Ceci entre d’ailleurs en contradiction avec la position du MPC publiée dans le Rapport annuel MROS 2013 (p. 58). Est-ce que la position du MPC a changé ? Qu’en penseront les experts du GAFI lors de l’évaluation de 2027 ?

En revanche, les typologies 5 et 6 rappellent utilement l’évidence : il n’y a pas à communiquer la relation d’affaires d’un lésé. Dans ce cas, il faut recourir à la plainte pénale. Pour mémoire les money mules ne sont pas de simples victimes, mais des auteurs par dol éventuel (Rapport annuel MROS 2014, p. 15).

Concrètement, ces typologies ont-elles reçu une forme de reconnaissance par des autorités telles que la FINMA, le DFF et le MPC, de sorte qu’un IF pourra se contenter d’y renvoyer pour justifier une non-communication ? Le MROS peut-il demander aux IF de ne pas exécuter une obligation légale (art. 9 LBA), ni d’exercer un droit (art. 305ter al. 2 CP) ?

Plus généralement, l’abaissement du seuil de communication est le résultat de la jurisprudence des tribunaux, de la pratique du DFF, des publications du MROS et de certains auteurs, voire d’amendements de la LBA, souvent en réponse aux travaux du GAFI. On peut citer : la communication en cas de rupture des négociations, l’absence de prise en compte d’éventuelles limitations telles que prescription ou immunité, la communication des comptes clôturés, la prise en compte des indices de l’Annexe à l’OBA-FINMA même sans pouvoir identifier l’éventuelle infraction préalable, la communication en cas de clarification infructueuse dans le délai requis. Plutôt qu’un defensive reporting (supposément dû à un système de contrôle interne déficient ou à une stratégie commerciale et une politique de risque désalignées auprès des IF), l’augmentation des communications est le résultat de l’évolution mentionnée ci-avant, ainsi que d’une plus grande sensibilité des IF et d’une meilleure mise en œuvre des obligations de diligence, mais surtout de la menace de sanctions en cas de violation de l’obligation de communiquer (y compris pour un retard) : enforcement de la FINMA, procédure de droit pénal administratif par le DFF, mise en cause de la responsabilité pénale de l’entreprise par le MPC. Il est légitime pour un IF de se protéger du risque de sanction dans un système où l’autorité enjoint les IF à communiquer plus et plus vite.

Pour réformer le système de communication, le rendre plus efficient voire revenir au « système de communication fondé sur la qualité » mentionné par le MROS, il faut le revoir complètement, en impliquant tous les stakeholders et en fixant le cadre, les responsabilités ainsi que les principes. Les IF ont besoin de sécurité juridique pour accomplir la tâche qui leur est confiée. Ceci implique une coordination des autorités, une publication cohérente de la pratique de celles-ci (p. ex. la restauration des publications du MROS antérieures à 2015 sur son site avec mention expresse lorsqu’une pratique est modifiée dans une publication ultérieure). A défaut, les IF continueront probablement de faire des communications que le MROS juge non pertinentes, causant une surcharge telle que, par un retournement des plus étonnant où « Les intermédiaires financiers [profitant] du travail du MROS  », on évoque le financement du MROS par un « verursachergerechtes Gebührenmodell » (tarification basée sur le principe du pollueur-payeur), alors que les communications résultent d’une obligation imposée aux IF.