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Actualités suisses

Imposition en Suisse d'une société offshore

Dans un arrêt du 4 décembre 2003 et pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la LIFD, le Tribunal fédéral (« TF ») a dû se prononcer au sujet du rattachement fondé sur l’administration effective d’une société étrangère. Le droit fiscal suisse prévoit un assujettissement illimité (sur le bénéfice mondial) en Suisse pour les sociétés dont le siège i) est en Suisse ou ii) se situe à l’étranger mais dont l’administration effective se trouve en Suisse (50 LIFD, 20 LHID ; cf. également 9 LIA). Les conventions de double imposition (CDI) conclues par la Suisse connaissent également le critère du « siège de direction effective ». Toutefois, et sans que le TF n’aborde le sujet, la CDI de 1954 applicable avec les Iles Vierges Britanniques (où la société du cas d’espèce avait son siège) se limite à définir ce qu’il faut entendre par une société résidente dans le Royaume-Uni, ce qui laisserait place à l’application de l’art. 50 LIFD.
La société en cause, X, possédait trois filiales, à Genève (X Management), à Rome (X SRL) et à Moscou (X Oil). Son administrateur unique, A, résidait à Rome. Entre 1994 et 1997, X a conclu avec une société sise à Genève, Y SA, des contrats portant sur plus de 570 millions US$. B était l’administrateur unique de Y SA et C l’actionnaire unique. Il ressort de l’état de fait de l’arrêt, relativement complexe, « des liens multiples et de profondes imbrications, voire une véritable perméabilité » entre Y SA et X. L’administration cantonale genevoise a soutenu que l’administration effective de X était en Suisse. X a contesté ce point, reconnaissant toutefois que l’administration effective ne se trouvait pas au lieu de son siège. Le TF a donc examiné si la société était localisée en Suisse sur la base de ce critère.
Afin d’interpréter la notion d’administration effective au sens de l’art. 50 LIFD et conformément à l’avis de la doctrine, le TF a appliqué sa jurisprudence relative aux conflits de double imposition intercantonale. Cette notion se définit comme la direction courante, par opposition à une simple activité administrative d’exécution. Le lieu de l’administration effective se détermine à l’aide d’indices, dont la résidence des organes directionnels de la société, le lieu où les opérations de gestion s’effectuent, voire celui où les documents sont conservés. Le TF précise que le lieu où se tiennent les conseils d’administration ou les assemblées générales de même que la résidence des actionnaires ne sont pas nécessairement déterminants. Lorsque l’application de ces indices mène à la conclusion que l’activité de direction courante est exercée en plusieurs endroits, le TF préconise l’application du principe de prépondérance, à savoir le lieu où se situe le centre de gravité de l’administration effective.
X a soutenu que toutes ses activités commerciales étaient le fait de A qui agissait depuis Rome, précisant que la filiale genevoise n’était qu’une société de service chargée du suivi administratif et financier. Cette thèse n’a pas été suivie par le TF. Selon lui, une partie de l’activité commerciale s’est certes déroulée en Italie par l’intermédiaire de D (et non pas de A) qui a été chargé par X de rechercher des acheteurs, de préparer, rédiger et négocier des contrats en Italie et qui exerçait de ce fait une part importante, voire la plus importante, de la direction courante. Cependant, D a déclaré ne pas avoir participé à des négociations en ce qui concerne le marché de l’Est et n’avait pas vu A y prendre part. D’autre part, une autre partie de l’activité commerciale était effectuée par F, responsable financier à Genève pour X International, qui était chargé notamment du suivi de l’évolution du financement et du risque de chacune des différentes opérations ainsi que de celle de la globalité des affaires. F a par ailleurs signé divers documents au nom et pour le compte de X. Le TF en a déduit qu’une partie au moins des opérations proprement commerciales et des opérations de direction courante de X était effectuée depuis Genève, probablement par B en ce qui concerne le marché de l’Est. Pour corroborer sa thèse, le TF a encore relevé d’autres indices, à savoir le fait que i) X figurait sur de nombreux documents avec la mention « c/o Y SA », ii) B était administrateur unique non seulement de Y SA mais également de X Management, iii) B et C disposaient d’une signature ou d’une procuration sur un compte bancaire de X, et iv) de l’aveu de X, celle-ci est domiciliée dans les locaux de Y SA.
Compte tenu de l’exercice en plusieurs endroits de l’activité de direction courante, le TF a appliqué le principe de la prépondérance en se fondant sur la quantité de produits achetés à Y SA depuis l’Italie par rapport à la totalité des produits achetés à Y SA par X. En l’espèce, ce rapport était de 1 à 4, voire de 1 à 5. Le TF a donc conclu à l’assujettissement illimité en Suisse de X.
Cet arrêt illustre pour la première fois l’application de l’art. 50 LIFD à une société étrangère, en l’occurrence une société offshore. L’application du critère de l’administration effective peut causer de lourdes conséquences, en particulier pour les sociétés offshore, puisqu’elle peut aboutir à un assujettissement en Suisse de la société étrangère sur son bénéfice mondial.