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Vers un assouplissement de la notion d'action de concert : réflexions sur la recommandation Kühne & Nagel International AG

Dans une recommandation Kühne & Nagel International AG du 13 octobre 2004, la Commission des OPA a considéré que ni un accord de voter la décharge ni un accord de placement d’actions conclus entre un même cercle de personnes ne constituait une action de concert au sens du droit des offres publiques d’acquisition, resserrant ainsi son interprétation de « contrôle ».
Cette affaire a pour arrière plan la résiliation de la collaboration entre la société Kühne & Nagel International AG (ci-après « Kühne & Nagel ») et SembCorp Logistics Ltd. (ci-après « SembLog »). En 2000, lorsque la relation avait été initiée, la seconde société a eu l’occasion d’acquérir une participation à 20 % du capital de la première. A l’époque, la Commission des OPA avait déjà retenu que cette coopération ne donnait pas lieu à une action de concert entre SembLog, Kühne & Nagel et l’actionnaire majoritaire de cette dernière, M. Klaus-Michael Kühne (recommandation Kühne & Nagel International AG du 8 décembre 2000).
En octobre 2004, lorsque les sociétés SembLog et Kühne & Nagel ont mis un terme à leur collaboration, elles se sont entendues que Kühne & Nagel rachèterait une partie de ses actions détenues par son ex-partenaire et que le solde serait vendu à la Deutsche Bank qui serait alors chargée d’offrir ces titres à des investisseurs par un placement privé selon des modalités arrêtées par Kühne & Nagel. Par ailleurs, l’actionnaire majoritaire s’engagea à voter la décharge des représentants de la société SembLog au conseil d’administration de Kühne & Nagel.
Dans sa recommandation, la Commission des OPA a déterminé que ni la vente des actions à Kühne & Nagel ni l’engagement de voter la décharge, dont la compatibilité avec le droit des sociétés est au demeurant douteuse, ni l’accord de placement privé ne constituaient une action de concert, faute d’une volonté de contrôler la société en commun. Elle a ainsi considéré que la vente à la société de ses propres titres ne contenait aucune disposition contractuelle la distinguant d’une vente ordinaire, que l’engagement de voter la décharge n’avait pas de lien avec un exercice commun du contrôle, mais servait uniquement à liquider la relation préexistante, et que l’accord de placement ne contenait rien d’atypique indiquant une volonté de la Deutsche Bank de prendre une participation dans l’actionnariat de Kühne & Nagel.
Si le résultat final de cette recommandation – l’absence d’une obligation de présenter une offre – n’est guère choquant, considérer qu’il y a eu absence d’action de concert paraît plus discutable : pendant le déroulement de la transaction, l’actionnaire majoritaire, SembLog et la Deutsche Bank ont eu l’opportunité d’exercer en commun le contrôle de la société et il l’ont fait : SembLog s’est assurée que la société renoncerait à rechercher ses représentants en responsabilité ; Kühne & Nagel et son actionnaire majoritaire ont pu choisir à qui SembLog vendrait sa participation et ont opté pour un placement privé, évitant le risque d’une vente de la participation à un tiers indésirable.
Cette action de concert était certes temporaire et ses modalités n’ont probablement pas porté préjudice aux actionnaires minoritaires, mais on ne peut s’empêcher de constater que la Commission des offres publiques d’acquisition se révèle très restrictive dans son interprétation des termes « pour contrôler une société » au sens des art. 32 al. 1 LBVM et 27 OBVM-CFB. Certes, la première recommandation Kühne & Nagel constituait déjà un corps étranger dans sa pratique, mais lorsque l’on compare les récentes recommandations SGF du 24 août 2004 et CCIG/SGPRh du 15 avril 2004 avec de plus anciennes comme celles des affaires Tornos du 26 juin 2002 ou Jelmoli Holding du 8 novembre 2002, la tendance se voit confirmée.
Dans une perspective de transparence du marché, cette interprétation est peu désirable, car, contrairement à la dérogation à l’obligation de présenter une offre publique d’acquisition, elle occulte entièrement de la connaissance des marchés certaines transactions dont les conséquences peuvent être lourdes pour les actionnaires minoritaires. Cependant, elle ne fait peut-être que d’augurer l’arrêt du Tribunal fédéral du 25 août 2004 dans l’affaire Quadrant AG (2A.243/2003) dont on sait déjà qu’elle a donné tort à la Commission fédérale des banques, bien que les considérants n’aient pas encore été rendus publics.