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Licenciement d'un cadre par une banque : admission de l'abus de droit

Dans l’arrêt 4C.110/2005 du 6 juillet 2005, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se prononcer inter alia, dans le cas particulier d’une banque, sur les conditions et circonstances dans lesquelles le licenciement d’un employé peut être constitutif d’un abus de droit au sens des articles 336 ss CO et donner ainsi lieu à une « indemnisation versée à celui qui en est victime ».
Le directeur général adjoint de la succursale genevoise d’une banque britannique, au service de cette dernière pendant 26 ans et bénéficiant d’excellentes évaluations de travail tout au long de cette période, a été licencié suite aux agissements illicites d’un employé dont il était le supérieur hiérarchique. La lettre de licenciement ne comportait aucune référence à une violation précise des règles de la banque. De plus, l’enquête interne effectuée par la banque n’avait signalé aucune faute relevant de la compétence du directeur général adjoint. Il a été retenu que ce dernier avait été licencié en raison de sa position hiérarchique supérieure, afin de sauver l’image de la banque ternie par l’affaire en question, alors que les reproches allégués contre lui n’ont pu être établis, en lui ayant fait tenir le rôle d’un « fusible ».
Le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties peuvent résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée, pour autant que cette résiliation ne soit pas constitutive d’un abus de droit. Concept juridique indéterminé, l’abus de droit est concrétisé de façon non exhaustive en matière de droit du travail aux articles 336 ss CO, par un souci de protection sociale du salarié, la partie au rapport contractuel considérée comme faible, en cas de disproportion évidente des intérêts en présence.
Aucun des exemples énumérés à l’article 336 al.1 CO ne paraissant s’appliquer au cas d’espèce, le Tribunal fédéral analyse des cas de congés abusifs qui ne découlent pas expressément de la loi, mais qui sont néanmoins acceptés en pratique par la doctrine et la jurisprudence, à condition de comporter une gravité comparable aux cas mentionnés à l’art. 336 CO. C’est ainsi que la façon dont le droit de résiliation est exercé peut constituer un abus de droit, si le comportement en question contrevient de manière caractéristique au principe de la bonne foi, ce qui est le cas d’une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d’une résiliation. Est aussi qualifiée d’abusive la résiliation d’un contrat de travail de la part de l’employeur, où l’intérêt de l’employeur à la résiliation est disproportionné par rapport à l’intérêt de l’employé au maintien du rapport de travail, ceci en raison de l’exercice du droit de résiliation de façon contraire à son but. Ainsi, « un licenciement pour simple motif de convenance personnelle peut être qualifié d’abusif ».
En l’espèce, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion qu’en congédiant son directeur général adjoint, la banque a exclusivement cherché à préserver ses propres intérêts et à sauvegarder son image auprès des tiers, ternie par les détournements commis par l’un de ses employés. La coïncidence entre les événements implique que, dans les milieux bancaires de la place, le directeur n’a pu qu’inévitablement apparaître lié, d’une manière ou d’une autre, aux irrégularités commises par l’employé escroc, alors qu’il a précisément été retenu qu’aucun reproche ne pouvait lui être adressé à cet égard. Le Tribunal fédéral a aussi considéré qu’un tel procédé constitue une atteinte à la personnalité de l’employé de la part de la banque qui, en sa qualité d’employeur, se devait au contraire de la protéger (art. 328 CO). En définitive, cette dernière a agi par pure convenance personnelle, faisant abstraction de l’intérêt légitime de l’employé à conserver un emploi qu’il occupait depuis plus de 26 ans à entière satisfaction de la banque, sans hésiter à ternir de manière imméritée sa réputation auprès d’autres employeurs potentiels.
Suite à cet arrêt, les opérateurs de la place financière pourraient ne plus être tentés de mettre fin aux rapports de travail d’un collaborateur, voire d’un cadre, seulement par souci de gestion d’un risque de réputation et de préservation d’image. Ceci constituerait une résiliation abusive de la part de l’employeur sanctionnée par les articles 336 ss CO, aux motifs que ce dernier agit par pur intérêt personnel, sans tenir compte de l’intérêt légitime de l’employé à conserver son emploi et que le cas échéant, ce comportement pourrait aussi porter atteinte à sa personnalité.