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Révision du droit des sociétés anonymes : innovations intéressantes et incertitudes pour la place financière suisse

Le Conseil fédéral a mis en consultation le 5 décembre 2005 un avant-projet de révision du droit des sociétés anonymes et du droit comptable (voir aussi le rapport explicatif ). Cet ambitieux projet de révision se décompose en trois éléments : (1) l’amélioration du gouvernement d’entreprise, y compris la tenue des assemblées générales, (2) la flexibilisation du capital et (3) la révision du droit comptable instaurant un régime indépendant de la forme sociale.
Sur le plan du gouvernement d’entreprise, l’avant-projet vise à renforcer les droits des actionnaires minoritaires, notamment en abaissant les seuils de participation requis pour exercer certains droits sociaux. Dans l’espoir de renforcer le contrôle par les actionnaires, l’assemblée générale sera par ailleurs tenue d’élire annuellement et individuellement les membres du conseil d’administration, qui feront l’objet de règles expresses sur les conflits d’intérêts. En outre, cette révision propose d’abolir la représentation des actionnaires par le dépositaire et les organes sociaux, tout en obligeant les sociétés cotées, et même certaines sociétés fermées, à prévoir un représentant indépendant. Enfin, elle prévoit un vaste projet de modernisation des règles sur les assemblées générales notamment en permettant la tenue d’assemblées générales multi-sites voire même de pures réunions virtuelles.
En parallèle, cette révision cherche à flexibiliser la structure du capital, sans pour autant faire le saut vers un système d’actions sans valeur nominale. Elle instaure ainsi une marge de fluctuation du capital au sein de laquelle le conseil d’administration peut librement augmenter ou réduire le capital sans solliciter le concours de l’assemblée générale. Elle supprime la valeur minimale des actions, permettant des splitting d’actions sans limite. De même, elle supprime le plafonnement du montant du capital-participation au double du capital-actions. Par ailleurs, sous pression du GAFI, elle prohibe l’émission d’actions au porteur.
L’avant-projet procède à de nombreuses modifications partielles de certains pans du droit des sociétés anonymes qui, bien que mineures à l’échelle du projet, auront des conséquences importantes en pratique. Mentionnons notamment la modification du régime de responsabilité prévu pour les réviseurs. Ceux-ci ne répondront de leurs fautes légères qu’à hauteur de Frs. 10 millions pour les PME et Frs. 25 millions pour les grandes sociétés. On peut d’ailleurs se demander si ces montants sont adéquats et si le principe même de cette exonération se justifie. En tout cas, le débat est lancé.
Cet avant-projet est loin d’être parfait. Il contient certaines erreurs de jeunesse qui, on l’espère, sauront être réparées. Relevons notamment deux problèmes pour les marchés de capitaux : premièrement, cherchant à faciliter l’action en restitution des prestations indues (art. 678 CO), l’avant-projet n’exigera plus la mauvaise foi de l’actionnaire pour permettre à la société, à ses actionnaires et, autre nouveauté, à ses créanciers de réclamer un dividende non justifié. Cette modification, combinée avec la prolongation du délai de prescription à dix ans, aurait, si elle devait être adoptée, des conséquences dramatiques pour les sociétés cotées : si une société devait corriger ses états financiers après avoir découvert une fraude comptable, les dividendes versés par le passé pourraient se révéler injustifiés. Un petit actionnaire, lui-même victime de cette tromperie, serait alors contraint à reverser les montants qu’il a perçus, alors que l’action en responsabilité contre les dirigeants et les réviseurs, sujette à un délai de prescription quinquennal, serait déjà prescrite. Cette modification entraîne une incertitude intolérable pour le négoce d’actions : aucun investisseur n’aura la certitude de pouvoir réellement jouir du fruit de son investissement libre d’une action en restitution.
Le deuxième problème important concerne les émissions en prise ferme. L’avant-projet tranche la controverse concernant la compatibilité entre ce mode d’émission et le droit préférentiel de souscription. Il permet à une société d’émettre ses titres par l’entremise d’une banque – ou, ce qui aurait été plus correct, un négociant en valeurs mobilières autorisé en tant que maison d’émission – sans supprimer le droit préférentiel de souscription, pour autant que celui-ci soit respecté dans son principe lors de l’allocation des actions. Cependant, craignant les abus, la révision va trop loin : si le banquier ne respectait pas le droit préférentiel de souscription, le placement serait nul et, à en croire le rapport explicatif, les souscripteurs devraient restituer leurs titres aux actionnaires lésés ! Cette conséquence dramatique n’est pas compatible avec les exigences de sécurité du droit qui sous-tendent les marchés de capitaux. Espérons donc que ces défauts et les autres problèmes de cet avant-projet seront corrigés suite à la procédure de consultation, faute de quoi cette réforme serait inéluctablement suivie d’une autre révision.