La CJCE précise le critère de sélectivité
Emmanuel Veuve
Ces dernières années, la Commission CE a intensifié, sous l’angle du droit de la concurrence, son action à l’égard des régimes de fiscalité directe des entreprises mis en place dans certains Etats membres, comme les « Holdings 1929 » au Luxembourg et les régimes fiscaux offshore à Malte. L’objectif de la Commission est de mettre un terme aux régimes fiscaux qui contreviennent aux règles de la concurrence. C’est dans ce contexte mais aussi celui d’un refonte importante de la réglementation régissant cette matière que la Cour européenne de justice a saisi l’occasion, dans un arrêt du 6 septembre 2006, de préciser les conditions de sélectivité des aides d’Etat à caractère fiscal. Elle a confirmé une décision de la Commission, sanctionnant le Portugal et qualifiant d’aides d’Etat, incompatibles avec le marché commun, des mesures fiscales réduisant les taux de l’impôt sur le revenu des entreprises actives dans le secteur financier ou délivrant des prestations de « services intragroupe ». Cet arrêt constitue un pas supplémentaire vers la suppression des incitations fiscales sélectives.
Selon cet arrêt, est prohibée par le droit communautaire une réduction automatique des taux appliquée à tous les opérateurs économiques situés aux Açores, dans le but de permettre aux entreprises de surmonter les handicaps structurels liés à une localisation dans une région insulaire et ultra périphérique.
Si la jurisprudence, rendue sur la base des articles 87 à 90 du traité CE, est déjà bien fournie, il faut noter que cet arrêt clarifie dans le détail la notion du critère de sélectivité tel qu’il a été exposé dans les lignes directrices 1998 sur l’application des règles relatives aux aides d’Etat en matière de fiscalité directe des entreprises. Le jugement aborde en particulier le degré d’autonomie dont doit jouir une autorité régionale pour pouvoir modifier valablement son régime de fiscalité directe aux regards des règles communautaires sur la concurrence et les aides d’Etat.
Les règles communautaires sur la concurrence interdisent les aides d’Etat à caractère sélectif, soit celles favorisant certaines entreprises ou certaines productions. La Cour se doit donc d’apprécier la condition de la sélectivité de la mesure de réduction adoptée. Ce qui revient à déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, cette mesure est constitutive d’avantages pour certaines entreprises par rapport à d’autres se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. S’agissant de mesures fiscales, l’existence d’un avantage ne pouvant être établie qu’au moyen d’une comparaison du taux d’imposition prévu par la mesure au taux d’imposition défini comme « normal », la détermination du cadre géographique de référence est cruciale.
Une autorité régionale peut disposer d’un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au gouvernement central d’un État membre pour que, par les mesures qu’elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l’environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises. En pareil cas, c’est le territoire sur lequel l’autorité régionale, à l‘origine de la mesure, exerce sa compétence, et non le territoire national dans son ensemble, qui constitue le contexte pertinent pour rechercher si une telle mesure favorise certaines entreprises au détriment d’autres, au regard de l’objectif poursuivi par la mesure ou le régime juridique concerné.
La Cour part du principe qu’il ne saurait être déduit de la lettre du traité, à l’inverse du raisonnement tenu par la Commission, qu’une mesure est sélective du seul fait qu’elle ne s’applique que dans une zone géographique limitée d’un Etat membre.
L’autonomie est considérée comme suffisante lorsque trois conditions cumulatives sont remplies : (a) l’autorité régionale est dotée, sur le plan constitutionnel, d’un statut politique et administratif distinct de celui du gouvernement central, (b) le gouvernement central ne peut intervenir directement sur le contenu de la mesure, (c) les conséquences financières d’une réduction du taux d’imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région considérée ne sont pas compensées par des concours ou subventions en provenance des autres régions ou du gouvernement central.
Dans le cas d’espèce, le droit national portugais garantissant la compensation de la baisse des recettes fiscales liée à la baisse des taux au moyen de transferts budgétaires, la région des Açores n’assume pas seule les conséquences politiques et financières liées à la décision d’alléger la pression fiscale régionale. La Cour en conclut que le cadre de référence juridique pertinent pour apprécier la sélectivité des mesures fiscales en cause ne peut être défini exclusivement dans les limites géographiques de la région des Açores. La Commission avait donc considéré justement que les réductions des taux d’imposition en cause constituaient des mesures sélectives et non des mesures à caractère général, ce qui leur confère le caractère d’aides d’Etat.