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Too big to fail

Synthèse du rapport de la Commission d’experts

Le 4 octobre 2010, la Commission d’experts chargée en novembre 2009 par le Conseil fédéral d’examiner la limitation des risques que les grandes entreprises font courir à l’économie nationale a rendu son rapport final. Il s’agissait notamment pour la Commission (1) de qualifier la notion de « too big to fail » et d’analyser les conséquences de la faillite et la liquidation de grandes entreprises dans tous les secteurs de l’économie, principalement bancaire, et (2) de formuler des propositions de mesures pour limiter les risques que de telles entreprises font courir à l’économie nationale.
(1) Définition. Pour qu’une entreprise soit dite d’importance systémique, il faut qu’elle fournisse des prestations centrales et indispensables pour l’économie et que les autres acteurs du marché ne soient pas en mesure de se substituer à l’entreprise défaillante en tant que fournisseurs de prestations d’importance systémique dans un délai supportable pour l’économie (art. 8 P-LB). Les trois notions suivantes interviennent donc : la taille et la concentration du marché, l’interdépendance entre l’entreprise concernée et ses clients, sous-traitants et investisseurs, et une substituabilité limitée. Est notamment relevant le montant des dépôts garantis (art. 37h LB) et la mesure dans laquelle ces dépôts dépassent la limite maximale systémique (actuellement, 6 milliards). En fonction de ces critères, l’UBS et le Credit Suisse sont d’importance systémique, étant précisé que d’autres établissements pourraient entrer dans cette catégorie (év. ZKB).
(2) Mesures. Deux types de mesures sont proposées par la Commission : des mesures préventives (pendant l’exploitation courante et pendant la stabilisation), et curatives (en cas d’insolvabilité, avec un accent mis sur l’assainissement forcé ou la liquidation partielle). Quatre champs d’intervention principaux ont été définis : (a) les fonds propres, (b) les liquidités, (c) la répartition des risques (art. 9 al. 3 lit. a P-LB) et (d) l’organisation (art. 9 al. 3 lit. b P-LB), étant précisé que la Commission propose que les mesures soient fixées par voie d’ordonnance et règles-cadres par le Conseil fédéral, après consultation de la FINMA et de la BNS. La FINMA se voit octroyer un mandat contraignant de resserrer les exigences spécifiques aux banques d’importance systémique. Si les mesures relatives aux liquidités et aux risques de contreparties ne présentent pas de réelles nouveautés, les propositions en matière de fonds propres et d’organisation comportent, quant à elles, plusieurs idées novatrices qui doivent être relevées.
Fonds propres. Le concept proposé prévoit trois composantes :
(i) une exigence minimale indispensable au maintien des affaires courantes, alignée sur celle de Bâle III (détention de 8 % du capital total, dont au minimum 4.5 % de fonds propres de base « common equity« , au moins 6 % appartenant qualitativement au tier one) ;
(ii) un volant de sécurité (capital conservation buffer) de 5.5 % constitué de fonds propres de base et de 3 % d’emprunts à conversion obligatoire, permettant d’absorber les pertes sans suspendre la marche ordinaire des affaires (là où Bâle III ne prévoit que 2.5 % de fonds propres de base) ;
(iii) une composante progressive pour maîtriser une crise (sous forme de fonds propres de 6 % à détenir sous forme de CoCo).
L’introduction de deux nouveaux instruments inédits rentrant dans la catégorie du volant de sécurité et de la composant progressive mérite une attention particulière : le capital de réserve (art. 11 P-LB) – autorisé à l’avance en vue d’une émission en tout temps par décision du conseil d’administration, sans les restrictions applicables au capital autorisé – et le capital convertible (contingent convertible bonds « CoCo », instrument dont la conversion serait déclenchée si la limite fixée est atteinte ou si le ratio des fonds propres réglementaires est inférieur au seuil exigé).
Globalement, la Commission exige que les banques détiennent au moins 19 % du capital total, dont au minimum 10 % sous forme de fonds propres de base (10.5 % et 7 % pour Bâle III).
Organisation. Deux mesures organisationnelles sont proposées par la Commission. Il s’agit d’une part (i) d’obliger les établissements concernés, au moyen d’une directive fonctionnelle, à garantir le maintien des fonctions d’importance systémique en cas d’insolvabilité et à fournir la preuve à la FINMA de l’existence d’un plan d’urgence et, d’autre part, (ii) d’améliorer les possibilités d’assainissement et de liquidation.
(i) La Commission donne plusieurs exemples de mesures organisationnelles admissibles : structure juridique et opérationnelle parallèle aux secteurs d’affaires, externalisation de services, Self-Sufficiency, création d’une Swiss Domestic Bank. Pour la Commission, le risque de révocation des actes juridiques par lesquels s’opérerait le transfert des fonctions d’importance systémique doit être limité par le respect de certaines conditions cadres contenues dans le plan d’urgence. Les établissements systémiquement importants devraient pouvoir bénéficier de remises sur les fonds propres dans la mesure où les objectifs (éviter l’insolvabilité et assurer une liquidation ordonnée et le maintien de services d’importance systémique) sont atteints autrement, par d’autres mesures, avec succès.
(ii) La Commission prône la simplicité et la souplesse des procédures d’assainissement bancaire. Dans le détail, la Commission est d’avis qu’un plan d’assainissement devrait pouvoir être présenté et homologué par la FINMA dès l’ouverture de la procédure d’assainissement par la FINMA. Certains services bancaires devraient pouvoir être maintenus, sans obligation d’assainir l’intégralité de l’établissement insolvable. La FINMA devrait être dotée d’un pouvoir de puissance publique permettant la transformation forcée de fonds de tiers en fonds propres, après expropriation. Enfin, la Commission estime qu’une coordination internationale des procédures (en particulier des mesures de protection et d’assainissement) devrait être prévue.
Les propositions de la Commission complètent – mais en amont cette fois – les mesures déjà prises, en particulier les modifications urgentes introduites pour une période limitée en décembre 2008 destinées à protéger les déposants et les autres mesures ponctuelles proposées (cf. Actualité 682). Elles visent à éviter que l’ensemble de l’économie nationale et les déposants soient gravement affectés par l’insolvabilité d’une des deux grandes banques.
Toutefois, force est de constater que, bien que saluables pour l’économie, elles ne concernent que deux établissements, et qu’en cas de crise sévère touchant d’autres établissements de grande taille, les déposants courent toujours le risque de ne pas être désintéressés par la Garantie des Dépôts, en raison du plafonnement de la garantie et de l’absence de fond permanent.
En chiffres absolus, les propositions de la Commission concernant les établissements financiers d’importance systémique vont largement au-delà des toutes dernières exigences définies par les membres du Comité de Bâle III.
Reste une inconnue, et de taille : l’attractivité des CoCo sera-t-elle suffisante aux yeux des investisseurs, susceptibles de se transformer en assureurs au cas où le risque d’insolvabilité se concrétise ?