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Droit des sociétés

Action en annulation : voix prépondérante du président et approbation des comptes

Le litige à la base de l’arrêt 4A_404/2011 du 7 novembre 2011 opposait la société Y SA (défenderesse) à son actionnaire X. Le capital de la société était détenu à raison de 49 % chacun par X, artiste lyrique de renommée internationale, et par Z, le directeur de Y SA, qui avait précédemment été l’impresario de X et qui s’opposait à ce dernier dans différentes procédures judiciaires. Le solde du capital était détenu à titre fiduciaire par E, lequel assumait également la fonction d’administrateur de la société afin de « stabiliser la société et [de] jouer un rôle d’arbitre s’il survenait un problème entre les deux actionnaires principaux ».
En réalité, le conflit entre les parties portait sur la titularité de droits immatériels liés à des enregistrements audiovisuels. Les parties ne se sont cependant pas opposés sur le terrain de la propriété intellectuelle, mais sur celui de l’approbation des comptes sociaux. X, qui contestait que Y SA soit propriétaire d’un stock « droits masters » d’une valeur d’env. trois millions de francs suisses, demandait l’annulation des décisions d’approbation des comptes 2007 et 2008 de la société, dont les bilans, comme d’ailleurs déjà celui des comptes 2006 (dont il n’avait pas demandé l’annulation), mentionnaient ce stock parmi les actifs de la société. Outre l’argument de la non-titularité des droits inscrits au bilan, la demande d’annulation était motivée, s’agissant de l’action relative aux comptes 2008, par un problème de forme : lors de l’approbation des comptes, le président du conseil d’administration avait déclaré s’abstenir « en qualité d’actionnaire » puis avait voté en faveur de l’approbation du rapport et des comptes 2008 « en sa qualité de président du conseil d’administration […] dans l’intérêt de la société […] dès lors que les statuts lui confèr[ai]ent une voix prépondérante ». La société avait considéré que les comptes étaient approuvés en tenant compte du vote du président ; X estimait que la société n’aurait pas dû prendre cette voix en considération.
S’agissant du vote du président, l’arrêt de la Cour cantonale, qui, sur ce point, n’est pas reproduit par le Tribunal fédéral, avait retenu que la distinction opérée par E entre son vote « en qualité d’actionnaire » et son vote « en sa qualité de président du conseil d’administration » était dépourvue de fondement dès lors que le droit de vote est nécessairement rattaché à la titularité d’actions et que, partant, lorsque E avait pensé voter en sa qualité de président, il avait en réalité voté en sa qualité d’actionnaire. X reprochait à la Cour cantonale d’avoir mal apprécié les faits, puisque précisément E avait indiqué ne pas vouloir voter comme actionnaire ; il lui reprochait aussi d’avoir participé sans droit à une décision de l’assemblée générale (art. 691 al. 3 CO). Notre Haute Cour confirme la validité du vote du président, ce qui est assurément un résultat équitable et moral. Il n’en reste pas moins que le Tribunal fédéral, qui souligne que le président était habilité à voter en cette qualité dès lors que les statuts lui conféraient une voix prépondérante, mais qui précise aussi plus loin que « lors de l’assemblée générale du 22 septembre 2009, E, qui [détenait] deux des 100 actions d’une valeur nominale de 1’000 fr. formant le capital-actions de l’intimée, [avait] exercé les deux voix que lui conféraient ses actions » est loin de lever les zones d’ombre qui pèsent sur cette institution délicate.
Concernant l’approbation des comptes, la Cour cantonale avait retenu, d’une part, que les bilans sociaux reflétaient la volonté de X (et donc la réalité du transfert des droits immatériels à Y SA) et, d’autre part, que X, qui n’avait pas attaqué en temps utile la décision d’approbation des comptes 2006, n’était plus recevable à le faire en attaquant les décisions d’assemblées générales approuvant les comptes d’exercices ultérieurs. X reprochait à la Cour d’avoir admis que les droits immatériels avaient été transmis à Y SA, alors même qu’aucune pièce ne faisait état d’un tel transfert. Le Tribunal fédéral considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la validité du transfert. Au nom de la sécurité juridique et de la clarté du droit, il estime que la non-contestation de l’approbation des comptes des années précédentes a pour effet de priver X de la possibilité d’invoquer l’inexactitude d’éléments qui figuraient déjà dans les comptes antérieurs « réputés avoir été dressés en conformité avec les normes légales et statutaires ».
Il n’est pas exclu que la solution à laquelle aboutit le Tribunal fédéral dans le cas particulier soit justifiée : on devine entre les lignes un comportement contradictoire de X qui, dans un premier temps, voulait le transfert, puis semble s’être réavisé. Cela étant, l’affirmation du Tribunal fédéral selon laquelle le fait de n’avoir pas attaqué l’approbation de comptes dans les années précédentes prive à tout jamais l’actionnaire du droit d’invoquer le caractère erroné d’éléments qui se retrouvent de manière récurrente dans les comptes nous semble trop absolue. Les comptes doivent refléter la situation financière de la société : il est choquant que les actionnaires doivent éternellement s’accommoder de ce qu’un actif inexistant figure au bilan de la société ou de ce qu’une dette de la société n’y figure pas, parce qu’ils ne s’en sont pas aperçus précédemment ou même parce que, pour un motif ou pour un autre, ils ont laissé passer le délai de contestation de la décision d’approbation des comptes… Nous sommes d’avis que dans de telles circonstances, la sécurité juridique à avoir des comptes conformes à la réalité prime la sécurité juridique à ne pas revenir sur des éléments des comptes « réputés avoir été dressés en conformité avec les normes légales et statutaires ».