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Coopération avec des autorités étrangères

Avant-projet de loi sur la collaboration et la protection de la souveraineté

En date du 20 février 2013, le Conseil fédéral a présenté un avant-projet de « loi sur la collaboration et la protection de la souveraineté » (l' »AP »), accompagné d’un rapport explicatif (le « Rapport Explicatif »). L’AP vise à concilier l’intérêt de la Suisse à collaborer avec des autorités étrangères dans un climat de confiance mutuelle et la nécessité de préserver la souveraineté suisse dans le cadre de cette coopération.
Sous un frontispice ambitieux se cachent en réalité trois piliers législatifs distincts, dont les éléments principaux sont résumés ci-après (nous proposons cette répartition en « Piliers », qui ne figure pas dans l’AP) :

  • Pilier I (articles 7 à 15 AP) : Le Conseil fédéral propose de fixer des règles minimales destinées à encadrer la coopération entre les autorités suisses et des autorités étrangères. L’AP consacre certains principes fondamentaux du droit de l’entraide, tels que le principe de confidentialité, le principe du long-bras (i.e., la nécessité du consentement de l’autorité suisse en cas de retransmission, à des tiers, des informations obtenues par le biais de l’entraide) et l’interdiction des fishing expeditions. Ces règles harmonisées ont vocation à s’appliquer lorsqu’une autorité suisse coopère avec une autorité étrangère. Ces règles cèdent toutefois le pas aux normes existantes (internationales ou nationales) qui régissent l’entraide dans des domaines spécifiques. L’AP ne modifie donc pas le cadre légal actuel applicable à l’entraide en matière financière (article 42 LFINMA, article 38 LBVM), pénale (e.g., l’EIMP), civile (e.g., Conventions de La Haye) ou fiscale (e.g., la LAAF).
  • Pilier II (articles 16 à 24 AP) : L’AP vise à préciser la mise en œuvre de l’article 271 (1) CP. Cette disposition sanctionne quiconque a, sans y être autorisé, procédé sur le territoire suisse à des actes qui relèvent des pouvoirs publics. L’AP s’attaque aux deux volets de l’article 271 (1) CP qui ont causé des difficultés en pratique :

Portée matérielle de l’article 271 (1) CP : L’article 18 AP propose une liste (non exhaustive) d’actes qui ne tombent pas sous le coup de la norme pénale. Cette liste transpose sur un plan législatif la position exprimée par l’Office fédéral de la justice dans différents avis de droit relatifs à l’article 271 (1) CP. Ainsi, la réponse à des questionnaires, ainsi que les entretiens directs et les échanges de correspondance avec des autorités étrangères, ne tombent pas sous le coup de l’article 271 (1) CP si ces démarches sont dépourvues de conséquences juridiques pour la personne domiciliée ou incorporée en Suisse (les termes de « conséquences juridiques » mériteraient d’être précisés). Il en va de même des actes de procédure en matière d’arbitrage ou de la transmission d’informations dans le cadre d’une procédure d’autorisation, d’une activité ou d’un produit, qui se déroule à l’étranger.
Conditions à l’octroi d’une « autorisation » : L’article 271 (1) CP prévoit un régime d’autorisation qui immunise son bénéficiaire contre le risque d’une poursuite pénale fondée sur cette norme. L’AP cherche à formaliser la pesée des intérêts à laquelle l’autorité suisse doit procéder avant de statuer sur l’octroi, ou non, d’une autorisation. L’article 22 AP liste ainsi les intérêts publics que l’autorité suisse doit « prendre en compte » dans le cadre de sa détermination : (i) respect de l’Etat de droit, (ii) intérêts de politique extérieure et (iii) conséquences d’une autorisation, ou d’un refus, sur l’économie suisse en général. L’autorité suisse devra également prendre en considération les intérêts privés listés dans l’AP : (i) respect des secrets protégés par la loi, (ii) possibilité de faire valoir des droits dans le cadre de la procédure étrangère et (iii) intérêts économiques privés. L’AP est muet sur la question de la pondération entre ces différents intérêts, mais prévoit que l’autorisation doit être refusée si la nécessité de protéger l’ordre juridique et la souveraineté de la Suisse prévaut sur tout intérêt public ou privé.

  • Pilier III (article 25 AP) : L’AP vise à donner au Conseil fédéral des armes pour prévenir, à l’avance, des possibles violations de la souveraineté suisse. Selon le Rapport Explicatif, le régime actuel, centré autour des articles 271 et 273 CP, ne permet d’appréhender les infractions à la souveraineté qu’une fois que celles-ci sont intervenues. L’AP accorde ainsi au Conseil fédéral la compétence de prendre les mesures « nécessaires à la protection de la souveraineté suisse contre des atteintes émanant d’ordres juridiques étrangers », soit notamment le prononcé d’une interdiction de communiquer des informations, d’un ordre de communiquer des informations ou d’un séquestre de documents.

L’AP constitue un projet législatif qui sort de l’ordinaire, tant dans sa structure que dans son contenu. Il est le reflet des difficultés – extraordinaires elles aussi – que les autorités suisses ont rencontrées durant ces cinq dernières années dans le cadre de leurs relations avec leurs homologues étrangers. L’AP appelle de nombreux commentaires. Le format du présent texte ne permet d’en évoquer brièvement que certains :

  • Pilier I : L’AP a le mérite d’apporter une certain prévisibilité juridique dans tous les domaines du droit qui ne connaissent pas encore de règles et de pratique formalisées en matière d’entraide internationale. En revanche, l’AP ne devrait pas apporter de changements majeurs dans les domaines qui connaissent une réglementation spécifique des conditions de l’entraide (e.g., le droit bancaire et financier ou le droit fiscal).
  • Pilier II : Une clarification législative du champ d’application de l’article 271 (1) CP est nécessaire, notamment afin de réduire les incertitudes générées par la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 114 IV 128). L’AP devrait toutefois prévoir expressément qu’une personne domiciliée en Suisse peut, sur une base volontaire, produire des documents dans le cadre d’une procédure dirigée contre elle à l’étranger, sans risquer d’enfreindre l’article 271 (1) CP (les dispositions suisses en matière de confidentialité et de protection des données étant réservées). En l’état, l’article 18 (e) AP réserve la possibilité d’une production directe aux seuls documents qui sont « librement accessibles » ou qui peuvent « être obtenus sur présentation d’une requête motivée » (selon le Rapport Explicatif, l’on vise ici les informations figurant dans un registre officiel suisse). A noter que l’article 18 (e) AP renvoie à l’article 13 (3) AP, et non pas à l’article 12 (3) AP comme indiqué de manière erronée dans la version française de l’AP.
  • Pilier III : Cet aspect de l’AP prête le flanc à la critique. Les « nouvelles » compétences accordées au pouvoir exécutif ne sont en réalité que la retranscription (sous la forme d’une norme générale et abstraite) de certaines décisions et ordonnances que le Conseil fédéral a été amené à prendre par le passé sur la base des articles 184 (3) et 185 (3) de la Constitution. L’ancrage de ces compétences au niveau d’une loi induit le risque d’une banalisation du recours au droit d’urgence (Notrecht). Le Rapport Explicatif indique que les mesures prévues par l’AP (qui peuvent toucher aux fondements de l’Etat de droit suisse) ne sont pas subordonnées aux exigences applicables à une ordonnance fondée directement sur la Constitution (e.g., caractère urgent, extraordinaire et temporaire de la mesure). Par ailleurs, la mention expresse selon laquelle le Conseil fédéral peut au besoin « imposer la communication d’informations » ouvre une brèche dans la position de la Suisse consistant à insister systématiquement sur le respect des procédures d’entraide. L’adoption de cette norme affaiblirait sans doute la position des négociateurs suisses dans le cadre des tractations internationales.

La faille conceptuelle de l’AP – en tous cas en ce qui concerne le Pilier III – réside peut-être dans la tentative de réglementer, et donc de prévoir, l’imprévisible. Si l’AP est adopté tel quel, l’on ne peut exclure qu’il déçoive les attentes suscitées par son intitulé. La procédure de consultation, qui arrive à échéance le 31 mai 2013, sera sans doute riche en prises de position des différents acteurs et autorités concernés par cette problématique.