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Gestion de fortune

Stratégie de la Suisse en matière d'accès au marché et d'échange de renseignements en matière fiscale

Le 14 juin dernier, le DFF a rendu public un rapport intitulé « Exigences réglementaires relatives à la gestion de fortune transfrontière en Suisse et options stratégiques ». Le rapport a été rédigé par un groupe d’experts nommé en décembre 2012 et chargé d’élaborer le développement de la stratégie helvétique en matière de marchés financiers. Cette publication intervient dans un contexte européen d’accélération de l’harmonisation des réglementations financières nationales par l’élaboration d’un droit européen supérieur (single rulebook), comme par exemple dans le cadre de la capitalisation des banques (CRD IV et CRR, cf. commentaire n° 840), de la révision de la directive sur la fiscalité de l’épargne, du développement de la MiFID II, ou encore, d’une manière globale et préoccupante, en matière d’accès au marché intérieur de l’UE.

Sur ce dernier point, le groupe d’experts relève que l’accès aux marchés financiers européens représente l’un des plus importants enjeux de la place financière suisse pour la création de valeur et d’emploi. Il lui apparaît dès lors urgent d’examiner l’évolution des conditions-cadres régissant la gestion de fortune transfrontière et d’assurer, en matière fiscale, une assistance administrative, une entraide judiciaire et une imposition correctes des clients étrangers des banques suisses tout en demeurant très exigeant à l’égard de l’OCDE et de l’UE en matière de respect des principes de réciprocité, de spécialité et de proportionnalité. La Suisse doit agir car la tendance au protectionnisme européen se confirme et promet un durcissement de l’accès aux marchés financiers pour les Etats tiers, tendance potentiellement accentuée par l’exploitation par les Etats membres de toute éventuelle lacune qui subsisterait dans l’harmonisation des règles d’accès à ces marchés.

Le rapport précité est organisé en quatre chapitres. Le premier place tout d’abord les stratégies actuelles de la Suisse dans le contexte financier international. Sont ensuite présentés les différents types d’échange automatique de renseignements en matière fiscale ainsi que l’étendue des renseignements échangés pour chacun de ces types. Dans le même chapitre, le groupe d’experts propose un état des lieux sur l’accès actuel des gérants de fortune helvétiques au marché international avec notamment une brève analyse de l’impact de MiFID II sur ce secteur. Le troisième chapitre expose les quatre options stratégiques retenues relevant des questions de fiscalité internationale, en intégrant la problématique de la régularisation du passé et en détaillant les avantages et inconvénients de chaque option. Enfin, dans un quatrième et dernier chapitre « Recommandations », les experts suggèrent une stratégie globale fondée sur les options envisagées et tendant vers l’acceptation conditionnelle de l’échange automatique de renseignements.

En décembre 2012, dans un précédent rapport concernant la politique de la Confédération en matière de marchés financiers, le Conseil fédéral avait confirmé sa stratégie de l’impôt libératoire à la source en matière d’imposition des avoirs des clients étrangers. Le groupe d’experts constate désormais que cette stratégie est de plus en plus mal perçue sur le plan international et devrait être beaucoup plus difficile à mettre en œuvre à l’avenir. En mai 2013, le Conseil EcoFin de l’UE a décidé de renégocier l’accord sur la fiscalité de l’épargne avec cinq Etats tiers, dont la Suisse, une fois que la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne aura été révisée. Ce faisant, l’UE négociera les nouveaux accords en tenant compte des développements internationaux et en particulier de la volonté des ministres des finances du G20 d’élaborer une norme mondiale sur l’échange automatique de renseignements. Or, pour que la Suisse puisse accepter le principe de l’échange automatique de renseignements, il faudra que la transparence s’applique à toutes les principales places financières et que les législations nationales – d’un nombre d’Etats aussi élevé que possible – ne permettent pas de la contourner. Il faudra en outre exiger le respect des principes de proportionnalité et de spécialité dans l’élaboration d’éventuels futurs accords, tout en garantissant la protection des données et le respect de la sphère privée.

Les quatre options stratégiques présentées par le groupe d’experts doivent toutes, pour l’avenir, permettre une meilleure conformité au droit international et en particulier la mise en œuvre de l’ensemble des directives du Forum mondial de l’OCDE ainsi que l’adhésion à la Convention du Conseil de l’Europe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Cette dernière implique – déjà pour tous les Etats du G20 – que les autorités de taxation des Etats parties à la convention s’informent spontanément lorsqu’elles détectent que de la substance fiscale pourrait échapper à la taxation d’un autre Etat également partie à la convention.

  • Option 1 : le « statu quo plus », à savoir l’absence d’échange automatique de renseignements en défendant le modèle de l’imposition à la source avec toutefois la mise en œuvre la plus rapide possible des directives du Forum mondial et l’acceptation d’une assistance administrative mutuelle conformément à la convention précitée du Conseil de l’Europe ;
  • Option 2 : un level playing field sur le plan mondial qui marquerait l’abandon progressif du modèle de l’imposition à la source dès qu’un consensus serait trouvé en matière d’échange automatique de renseignements. La Suisse exigerait alors toutes garanties d’une réciprocité totale, dans le respect de règles communes d’identification des ayants droit économiques pour tous les types de structures juridiques (dont les sociétés de domicile et en particulier les trusts) ;
  • Option 3 : une proposition immédiate, mais faite à certains Etats de l’OCDE seulement, de conclure un accord prévoyant l’échange automatique de renseignements moyennant des exigences élevées en matière de respect du principe de spécialité et de protection des données. Pour les Etats qui ne pourraient ou ne souhaiteraient pas satisfaire à ces exigences, la Suisse proposerait alors un accord international d’imposition à la source ;
  • Option 4 : une proposition faite à l’UE de passer à l’échange automatique de renseignements – et la promotion de ce modèle par la Suisse sur le plan mondial – pour autant que des accords bilatéraux soient négociés avec les Etats membres pour la régularisation du passé (ou via un accord global avec l’UE). Parallèlement, et tant que l’échange automatique ne serait pas la norme mondiale, la Suisse continuerait à proposer le modèle de l’imposition à la source aux Etats de l’OCDE hors de l’UE.

Dans un quatrième et dernier chapitre en forme de synthèse, les experts proposent une stratégie globale tirée des différents scenarii envisageables visant à accepter le principe de l’échange automatique de renseignements et à participer à l’élaboration d’une norme internationale en la matière, à la condition toutefois que celle-ci devienne la règle pour tous et que MiFID II ne restreigne pas l’accès au marché européen pour les Etats tiers. En décidant ainsi de sacrifier progressivement l’imposition à la source, la Suisse exigerait non seulement des garanties mais pourrait successivement s’engouffrer dans une brèche profitable en termes d’image et de sécurité juridique du fait de prôner ouvertement une gestion de fortune transfrontière exclusivement fiscalisée.