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Entraide en matière fiscale

Limitation des garanties d’accès au juge pour les contribuables étrangers ?

Le 14 août 2013, le Conseil fédéral (CF) rendait publique sa décision d’ouvrir une consultation accélérée en vue d’une modification de la loi fédérale sur l’assistance administrative en matière fiscale (LAAF). Il communiquait ainsi un avant-projet de loi (AP-LAAF), accompagné de son « Rapport explicatif ». Avec ce projet, le CF invite le législateur à apporter (i ; ii) deux modifications substantielles et (iii) une modification d’ordre fonctionnel à la loi.

i. Les art. 15 al. 2 et 21a AP-LAAF prévoient la possibilité de priver la personne visée de son droit d’être entendu sur demande de l’autorité étrangère compétente. Si elle est adoptée, cette base légale donnera compétence à l’AFC de conduire sa procédure secrètement et de n’informer la personne visée qu’après avoir transmis les renseignements demandés.

ii. L’art. 7 let. c AP-LAAF prévoit la possibilité d’admettre des requêtes dont l’origine repose sur l’acquisition de données obtenues illégalement à condition que l’Etat requérant n’ait pas cherché à se les procurer activement. Autrement dit, une distinction pourrait être opérée entre les Etats qui ont obtenu directement des données volées et ceux qui les auraient obtenues « par ricochet ». Seuls ces derniers devraient être autorisés à déposer des demandes de renseignements.

iii. Les art. 6 al. 2bis et 2ter, ainsi que les art. 14 et 14a AP-LAAF devraient permettre une description plus précise de la procédure applicable aux demandes groupées en introduisant en particulier un renvoi expresse au Commentaire du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE (MC OCDE). On rappellera que le TF reconnaît la validité de ce commentaire dans l’interprétation des dispositions des CDI qui sont « calquées » sur le MC OCDE (voir p. ex. Arrêt du TF du 8 octobre 2007 2C_265/2007, consid. 2.3.).

On pourrait s’étonner de ce qu’un projet de révision soit nécessaire moins de huit mois après l’entrée en vigueur de la LAAF et de l’Ordonnance en cas de demandes groupées. Cela étant, cette réforme vise à répondre aux attentes du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (Forum Mondial). Cet organisme, qui compte désormais 120 Etats membres, exerce la fonction d’autorité de contrôle de la coopération des Etats dans la lutte contre la soustraction d’impôt et pour une amélioration de la transparence fiscale. Sous la tutelle de l’OCDE, il réalise une évaluation de ses membres en deux phases (Peer Review) à l’issue desquelles une appréciation générale très attendue sera publiée (overall rating). Cette évaluation, la Peer Review, porte sur les éléments suivants :

1. Dans la première phase, il s’agit d’analyser l’arsenal législatif et réglementaire de chacun des Etats membres en matière d’échange de renseignements fiscaux. D’après le rapport remis par le Secrétaire général de l’OCDE aux « leaders » du G20 à l’occasion du sommet des 5 et 6 septembre 2013, le Forum Mondial a déjà achevé 84 % de la phase 1 (sur les principaux enseignements de la Peer Review de la Suisse, voir ci-dessous)

2. La seconde consiste à examiner les mesures d’exécution et les résultats des procédures d’assistance administrative mises en place par les Etats membres. Le Forum Mondial enquête ainsi sur l’efficacité avec laquelle les renseignements réclamés parviennent à l’autorité requérante. Le rapport du Secrétaire général de l’OCDE remis à l’occasion du G20 signale que la phase 2 est en cours et que 35 % des évaluations ont déjà été effectuées. Celle de la Suisse est en revanche en suspens tant qu’elle n’aura pas réagi aux recommandations issues de la première phase.

Dans la Peer Review suisse (phase 1) publiée le 1er juin 2011, le Forum Mondial reconnaissait les progrès réalisés par la Suisse depuis mars 2009 tout en formulant quelques réserves, accompagnées de recommandations. Parmi celles-ci, il y avait :

– Le fait que l’OACDI – texte d’exécution à vocation provisoire – prévoyait que la personne visée devait être identifiée de façon indubitable par l’Etat requérant. Cette condition fut jugée trop stricte sans que cela emportât de conséquences pour la Suisse qui devait corriger le tir lors de l’adoption du texte définitif. Ce fut fait avec la LAAF (comparer les art. 5 OACDI et art. 6 LAAF).

– L’existence d’actions au porteur était pointée du doigt, car il se trouve que leur utilisation peut contribuer à entraver l’identification des personnes qui contrôlent certaines entités. Depuis qu’ils ont fait l’objet d’une Peer Review, 20 Etats ont choisi de supprimer les actions au porteur. La Suisse semble toutefois en voie de prendre une mesure alternative (voir le Rapport de septembre 2013 du DFF sur les résultats de la procédure de consultation au sujet de la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière).

– Le nombre de CDI conformes aux standards de l’OCDE était jugé insuffisant. Parallèlement à la renégociation de CDI, la Suisse s’est engagée à développer son réseau d’accords spéciaux sur l’échange de renseignements en matière fiscale (Tax Information Exchange Agreements, TIEA). Le premier accord de ce type fut conclu le 29 août 2013 avec l’Ile de Man.

– Le Forum Mondial observait enfin que les droits des contribuables sont bien protégés en Suisse à tel point que l’accès aux renseignements est susceptible d’être mis en péril dans certains cas. Pour remédier à cela, la Suisse était invitée à adopter une base légale ayant pour effet d’autoriser le transfert de données, à titre exceptionnel, sans information préalable de la personne concernée.

Le projet de modification de la LAAF du CF devrait favoriser l’accès à la phase 2 de la Peer Review dans la mesure où il permettra à la Suisse de répondre pleinement à cette dernière recommandation du Forum mondial (secret de la procédure). D’aucuns se demandent peut-être si cette restriction du droit d’accès à une autorité judiciaire entre en contradiction avec l’art. 6 CEDH. En l’état de la jurisprudence, il semble toutefois que la Cour européenne des droits de l’homme et le Tribunal fédéral jugent que les garanties de procédures de l’art. 6 CEDH sont inapplicables à la procédure « d’entraide administrative ». Le respect de ces garanties est contrôlé dans le cadre de la procédure pendante (ou subséquente) que diligente l’Etat requérant. Ce secret de la procédure pose aussi la question d’une restriction du droit constitutionnel à ce qu’une cause soit jugée par une autorité judiciaire (Cst. 29a). En page 10 et s. de son rapport explicatif sur l’AP-LAAF, le CF propose une analyse on ne peut plus sommaire des conditions de restriction de ce droit fondamental et parvient à la conclusion qu’elles sont remplies.

Une fois que la Suisse sera entrée dans la seconde phase, il s’agira de montrer que l’Administration fédérale des contributions (AFC) dispose des moyens juridiques et organisationnels qui lui permettent d’avoir un accès effectif aux renseignements. Elle devra montrer en particulier que l’AFC est dotée des structures et ressources adéquates pour traiter et transmettre les données à sa contrepartie dans un délai raisonnable. Le traitement du dossier dans un délai raisonnable suppose en principe que la transmission ait lieu dans les 90 jours qui suivent la réception de la demande. Mais la nature particulière d’une affaire (p. ex. sa complexité) peut justifier une demande de prolongement de ce délai d’ordre. On peut penser que l’AFC est armée pour répondre aux exigences du Forum Mondial, mais l’affirmer serait prématuré.

En somme, ces modifications de la LAAF devraient permettre à la Suisse d’honorer ses engagements internationaux. Pour mettre toutes les chances de son côté, le CF a décidé d’une consultation accélérée et assorti son projet d’un effet rétroactif. Si le projet aboutit, les modifications s’appliqueront aux demandes groupées et aux demandes pendantes déposées à partir du 1er février 2013, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur de la loi.