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L’échange de renseignements : "hic et nunc"

Le 14 janvier 2015, le Conseil fédéral (CF) annonçait l’ouverture d’une double procédure de consultation au sujet de l’échange international de renseignements en matière fiscale. La procédure porte, d’une part, sur la « Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale » (la Convention) et, d’autre part, sur « l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers », ainsi que sur le projet de loi fédérale qui en assure l’exécution. Trois textes sont donc soumis à la consultation ; au vu des obligations auxquelles ils donnent naissance, le Parlement devra approuver chacun d’entre eux au terme de la procédure. Tout comme l’exécutif, on a choisi de diviser la matière en deux. Ce premier commentaire concerne uniquement la Convention. Les deux autres projets de loi feront l’objet d’un second commentaire. On commencera par situer la Convention dans son contexte (I.), avant de donner un aperçu des changements qu’elle pourrait impliquer (II.). Ils sont significatifs.

I. A l’issue de leur réunion d’avril 2013, les chefs d’Etats du G20 se décidèrent une nouvelle fois à intensifier la lutte contre la soustraction d’impôt (tax evasion). Dans les faits, ces résolutions devaient se traduire par un renforcement, à brève échéance, du standard minimum de coopération internationale. De l’échange sur demande, il fallait passer à un échange automatique de renseignements (EAR). Pour être jugés coopératifs, les Etats allaient devoir s’engager à participer à un régime de communication systématique d’informations au sujet des comptes détenus auprès des établissements financiers actifs sur leurs territoires. Naturellement, l’accélération des événements coïncidait avec les efforts déployés aux Etats-Unis en vue d’imposer les règles du FATCA (voir actu. 875). L’une des particularités de cette loi, aux effets extraterritoriaux, était de transformer les institutions financières, en premier lieu les banques, en auxiliaire de l’autorité fiscale américaine. Parallèlement à cela, le type particulier d’accord bilatéral qu’avait développé la Suisse, pour préserver un modèle d’affaires axé sur la confidentialité (voir actu. Rubik), fut mis en échec. L’EAR pouvait en conséquence devenir la norme internationale. C’est ainsi que l’OCDE rendait public le 21 juillet 2014 sa « nouvelle norme ». Le texte susceptible de servir de base légale existait déjà. Il s’agissait précisément de la Convention qu’avaient élaborée de concert l’OCDE et le Conseil de l’Europe, en 1988 (la Suisse la signa le 15 octobre 2013). Cette Convention, multilatérale, avait été réservée à l’origine aux Etats membres de l’OCDE. Elle n’avait connu qu’un succès modéré jusqu’à l’éclatement de la crise financière. En juin 2011, sa révision permit aux Etats non-membres de l’OCDE d’y adhérer. A fin 2014, elle était en vigueur entre 43 Etats.

II. Quel est son champ d’application (a) et quels sont, en particulier, les mécanismes de coopération auxquels elle va donner naissance en Suisse (b) ?

a) A l’exception des droits de douane, la Convention s’applique à tous les types d’impôts (not. revenu, bénéfice, fortune, capital, donations, successions, TVA), y compris les « cotisations de sécurité sociale obligatoires », en Suisse les cotisations AVS/AI/APG. Cela étant, la Convention autorise des réserves et des « déclarations ». Les réserves peuvent être formulées en tout temps (p. ex. à la signature, lors du dépôt des instruments de ratification ou après l’entrée en vigueur). Les déclarations, moins incisives, permettent à un Etat d’informer ses partenaires du fait qu’il entend adopter une pratique particulière dans l’application de l’une des dispositions de la Convention. Si l’instrument est « flexible », certaines dispositions sont jugées impératives pour éviter que des réserves n’en détournent le but. Parmi elles, il y a la coopération au sujet des impôts sur le revenu, au sens large, et la fortune. Comme l’autorise la Convention, la Suisse a ainsi indiqué sa volonté de limiter son application aux matières suivantes : revenu (bénéfice), fortune (capital) à tous les niveaux (fédéral, cantonal, communal) et impôt anticipé. Le CF semble vouloir exclure la TVA. La question est susceptible d’être discutée dans la mesure où la Suisse pourrait être intéressée à obtenir des informations sur des assujettis étrangers prétendant à des remboursements d’impôt.

 b) La Convention prévoit cinq modes de coopération pour la récolte d’informations. Outre l’échange de renseignements sur demande (i.), l’échange automatique de renseignements (ii.) et l’échange spontané de renseignements (iii.) (pour une définition, voir actu. 894), elle prévoit la possibilité pour les autorités fiscales de se coordonner afin de procéder à des contrôles fiscaux simultanés qui garantissent l’effet de surprise (iv.). Last but not least : les autorités fiscales sont autorisées à se rendre en territoire étranger pour examiner la situation d’un contribuable (v.). Les trois premiers modes (sur demande, automatique et spontané) sont considérés comme complémentaires pour assurer l’efficacité de la lutte contre la soustraction d’impôt. En conséquence, les Etats ne sont pas autorisés à opposer de réserve aux dispositions qui les régissent (art. 5, 6 et 7 cum 30). En revanche, la Convention autorise les Etats à refuser les contrôles fiscaux simultanés et les déplacements d’autorités étrangères sur leur territoire. Le CF entend renoncer à ces deux dernières formes. Reste qu’après l’adoption de la Convention, l’Administration fédérale des contributions, autorité compétente, sera tenue de pratiquer l’échange spontané. Une modification de la loi fédérale sur l’assistance administrative sera nécessaire, car la loi en vigueur ne prévoit pas encore ce mode de transmission. Des politiques ont déjà manifesté leurs réticences à l’endroit de ce qu’ils présentent comme une intrusion supplémentaire dans la sphère privée des contribuables. La question est ouverte : ce mode de transmission est certes en adéquation avec les réformes entreprises depuis mars 2009. Cependant, l’échange spontanécontrairement à l’échange automatique n’est pas limité aux comptes financiers ; il peut porter sur tout ce qui est vraisemblablement pertinent pour l’application de l’un des impôts visés par la Convention. Cela signifie notamment que les autorités fiscales suisses devront informer leur contrepartie de la situation fiscale d’un contribuable qui jouit d’un statut cantonal spécial, d’un traitement particulier en vertu d’un « ruling » ou contribuer d’elles-mêmes à l’établissement de prix de transfert. Au reste, l’échange de renseignements n’est pas la seule dimension de coopération que prévoit la Convention. Les Etats signataires sont encouragés à se prêter assistance en matière de recouvrement des créances fiscales (art. 11). L’exécutif a déjà fait savoir que la Suisse y renoncerait. Le CF entend par ailleurs exclure la possibilité pour ses partenaires conventionnels de procéder à des actes de notification (p. ex. actes d’ordre judiciaire) en Suisse. Seules les transmissions directes (de et vers la Suisse), par voie postale, pourraient être admises : au lieu d’apprendre qu’ils sont parties à une procédure au détour d’une publication officielle, les contribuables pourraient ainsi être avertis personnellement et commencer à préparer leur défense.

En l’absence de référendum, la Convention pourrait entrer en vigueur au 1er janvier 2017. Il est prévu que la coopération porte sur les périodes d’imposition qui débuteront le 1er janvier de l’année consécutive à celle de son entrée en vigueur. Mais il y a une exception : pour les procédures qui impliquent un acte intentionnel passible de poursuites pénales, il sera possible de demander des renseignements pour des périodes antérieures (art. 28 § 7). Les Etats peuvent restreindre la portée de cette exception à une période de trois ans maximum calculée à partir de l’entrée en vigueur de la Convention. Pour la Suisse, cela renverrait a priori au 1er janvier 2014, c’est-à-dire après la déclaration d’adhésion exprimée, on l’a vu, le 15 octobre 2013 (voir rapport explicatif, p. 25).

L’échange de renseignements à des fins fiscales, c’est ici et maintenant.