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Conformité fiscale

Vers un Swiss finish ?

Le 5 juin dernier, le Conseil fédéral (CF) a soumis au Parlement ses messages relatifs à la Convention du Conseil de l’Europe et de l’OCDE ainsi qu’aux bases légales nécessaires à la mise en œuvre de la norme sur l’échange automatique de renseignements en matière fiscale (EAR). Il soumettait également dans la foulée un projet de révision de la LBA (P-LBA) en vue d’imposer aux intermédiaires financiers (IF) des obligations de diligence basées sur les risques afin de s’assurer que les clients résidant à l’étranger se conforment aux règles de la fiscalité.

Le projet d’inscrire dans le marbre un principe de conformité fiscale qui s’imposerait aux acteurs du marché financier suisse n’est pas une nouveauté. Il était déjà annoncé dans le rapport du CF du 19 décembre 2012 comme l’un des moyens dont la Suisse devait se doter afin d’atteindre les objectifs de la Weissgeldstrategie. Dans ce contexte, le CF ouvrit deux procédures de consultation le 27 février 2013. L’une concernait la mise en œuvre des recommandations révisées du GAFI ; l’autre visait l’extension des obligations de diligence dans le domaine fiscal (AP-LBA de 2013). La première aboutit le 12 février 2014 à l’adoption d’une loi fédérale qui aura notamment pour effet d’ériger au 1er janvier 2016 certaines infractions fiscales graves en des actes préalables au blanchiment. La deuxième se heurta à une forte opposition lors de la procédure de consultation. Sans se prononcer de manière formelle sur le résultat de la procédure de consultation, le CF indiqua dans un communiqué du 29 novembre 2013 que les nouvelles obligations de diligence devaient être discutées de manière coordonnée avec la conclusion d’éventuels accords sur l’EAR. Quelques mois plus tard, la question du principe de la conformité fiscale revînt au centre des débats avec l’avant-projet de loi fédérale sur les établissements financiers (AP-LEFin) mis en consultation le 27 juin 2014. À nouveau, la proposition du CF fût accueillie avec beaucoup de scepticisme de la part des milieux économiques et des partis bourgeois. Les efforts entrepris par la Suisse au niveau international pour développer la norme régissant l’EAR ayant abouti plus rapidement que prévu, le CF décida alors de rapatrier le principe de conformité fiscale de l’AP-LEFin dans la LBA.

Ce rapatriement a pour effet que le cercle des personnes concernées par les nouvelles obligations de diligence ne serait plus limité aux IF soumis à une surveillance prudentielle (art. 2 al. 1 AP-LEFin), mais s’entendrait à tous les IF visés par l’art. 2 al. 2 et 3 LBA ainsi qu’aux négociants au sens de l’art. 2 al. 1 let. b nLBA. Cette extension, qui n’est autre que le résultat de l’importation d’une base légale d’un texte législatif dans un autre, ne fait cependant l’objet d’aucune mention spécifique dans le message.

Si le cercle des destinataires s’en trouve étendu, le champ d’application des nouvelles obligations de diligence a été lui réduit par rapport aux projets initiaux. D’une part, les nouvelles obligations de diligence ne s’appliqueraient qu’en relation avec des valeurs patrimoniales appartenant à des résidants fiscaux étrangers (art. 6a al. 1 P-LBA). D’autre part, les IF pourraient renoncer à toute vérification si les clients concernés sont assujettis à l’impôt dans un Etat ayant conclu avec la Suisse un accord sur l’EAR, conforme à la norme OCDE (art. 6a al. 3 P-LBA), cette notion incluant selon le message l’Accord FATCA-CH. Les situations impliquant des valeurs patrimoniales de faibles valeurs (art. 6a al. 1, 2ème phr. P-LBA), telles que fixées dans l’autorégulation, ne seraient enfin pas concernées, à l’instar de ce que prévoyaient les projets initiaux.

Avant d’accepter des valeurs patrimoniales (ou de maintenir une relation existante), l’IF devrait ainsi s’assurer qu’il n’existe pas un risque élevé que ces dernières n’aient pas été ou ne soient pas fiscalisées (art. 6a al. 1, 1ère phr. P-LBA). L’étendue de la vérification dépendrait des risques inhérents à la situation du client ainsi que de la situation sociale et  juridique de l’Etat dans lequel le client serait assujetti. Dans ce contexte, l’IF pourrait s’appuyer sur des indices augmentant (risikoerhöhende Anhaltspunkte) ou, le cas échéant, diminuant (risikomindernde Anhaltspunkte) le risque de non-conformité fiscale. Ces indices ne sont toutefois pas détaillés dans le projet de loi, le CF privilégiant la voie de l’autorégulation. Le message contient à cet égard une liste non-exhaustive d’indices, partiellement importée de l’art. 6a al. 2 et 3 AP-LBA de 2013. L’interposition d’une société de domicile ou l’exécution d’opérations en espèces inhabituelles seraient ainsi des indices de risque élevé. À l’inverse, la remise par le client à l’IF d’une autodéclaration ou d’une déclaration autorisant l’IF à communiquer ses données aux autorités fiscales compétentes (sous réserve de l’autorisation visée par l’art. 271 CP) et renonçant à tout recours dans le cadre d’une éventuelle procédure d’assistance administrative en matière fiscale, constitueraient des indices de risque moindre. Bien que le message ne précise pas comment devrait être appréhendée la situation présentant à la fois des indices de risque élevé et de risque moindre, on peut présumer qu’une pesée des indices en présence serait nécessaire (sous réserve d’une disposition topique de l’autorégulation sur ce point).

Dans l’hypothèse où le risque de non-conformité fiscale serait moindre, l’IF pourrait en principe renoncer à des vérifications approfondies. Si, au contraire, le risque apparaît élevé, l’IF devrait effectuer des clarifications complémentaires (art. 6a al. 2 P-LBA). Si, au terme de ces dernières, l’IF présume que les valeurs ne sont pas fiscalisées, il ne pourrait alors pas maintenir la relation d’affaires (art. 6a al. 4 let. a P-LBA) ou, s’il s’agit d’une relation existante, il devrait résilier celle-ci (art. 6a al. 4 let. b P-LBA). Dans ce dernier cas, l’IF devrait toutefois pouvoir impartir un délai au client concerné permettant à celui-ci d’apporter la preuve que les valeurs patrimoniales sont fiscalisées ou, alternativement, que la non-fiscalisation/-régularisation de ses valeurs patrimoniales se justifie eu égard au risque d’un « préjudice déraisonnable par manque de garanties de l’Etat de droit » (cette notion s’interprétant très restrictivement au vu des exemples cités dans le message). En fonction des réponses apportées par le client, la relation d’affaires pourrait être nouée/maintenue ou, au contraire, refusée/résiliée. Elle pourrait même faire l’objet d’une communication au MROS si l’IF a acquis lors du processus de clarification le soupçon fondé ou, le cas échéant, des indices que les valeurs patrimoniales proviennent d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié au sens de l’art. 305bis ch. 1bis nCP (art. 9 al. 1 let. a ch. 2 nLBA ; art 305ter al. 2 nCP), pour autant toutefois que l’infraction en question soit également punissable dans l’Etat concerné (principe de double incrimination) et qu’elle porte sur un montant excédant l’équivalent en monnaie étrangère de 300’000 francs.

L’introduction de nouvelles obligations de diligence relève du Swiss Finish, ce dont ne se cache pas le CF. L’opportunité d’une telle mesure prête ainsi forcément le flanc à la critique. Elle placerait en particulier les IF dans une situation moins compétitive que celle de leurs concurrents internationaux. À terme, cette nouvelle brèche dans le système bancaire suisse pourrait même conduire à une application du principe de conformité fiscale à des clients assujettis à l’impôt dans des Etats ayant conclu un accord sur l’EAR (principe du most favoured nation), voire à des clients nationaux (une différence de traitement entre les résidents fiscaux suisses et étrangers ne se justifiant a priori pas).

D’un autre côté, la détermination dont fait preuve le CF peut exprimer une volonté d’étendre la nouvelle « moralité fiscale » de la Suisse à toutes les infractions fiscales, et non seulement celles qui sont graves, et de s’assurer que les pays n’ayant pas conclu un accord sur l’EAR ne soient pas laissés-pour-compte. L’obligation de vérification aux règles de la fiscalité généraliserait par ailleurs les mesures déjà prises par les IF soumis à une surveillance prudentielle en vue de mieux maîtriser les risques juridiques et de réputation dans le cadre de leurs activités financières transfrontières, notamment suite à la prise de position de la FINMA du 22 octobre 2010 sur ce sujet.

Au vu de la forte divergence entre les partisans du projet et ses opposants, l’introduction d’une obligation généralisée de vérification aux règles de la fiscalité n’est pas encore acquise et promet des débats animés.