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Banque Mondiale

Une immunité de juridiction nécessaire à la coopération internationale

Dans un récent arrêt, la Cour Suprême du Canada s’est penchée sur la question de l’immunité de juridiction de la Banque Mondiale, soit à savoir si l’organisation internationale peut être soumise à une injonction de la part de tribunaux nationaux alors qu’elle dispose d’immunités visant à protéger ses archives de toute ingérence publique et son personnel de toutes poursuites.

En l’espèce, la Banque Mondiale a créé une unité (« INT ») responsable d’enquêter sur des allégations de corruption à l’égard de projets nationaux qu’elle subventionne et de recueillir les informations y afférentes. C’est ainsi que l’INT a été amenée à transmettre des courriels d’informateurs, des rapports d’enquêtes et autres documents à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) concernant quatre individus. Sur la base des informations reçues, la GRC a obtenu l’autorisation de procéder à des écoutes à l’encontre des quatre personnes, mais a vu entretemps détruire, par erreur informatique, une partie de documents provenant de l’INT et fondant l’autorisation. Lors de leur procès, les quatre inculpés ont alors contesté la validité de l’autorisation en sollicitant directement la production « des archives » de l’INT et en assignant deux enquêteurs de l’INT à comparaître pour en expliquer le contenu.  Devaient être produits l’ensemble des notes, mémos, courriels, correspondance, rapports reçus et envoyés par l’INT, les documents et courriels échangés entre l’INT et ses informateurs, tous documents ayant trait à l’enquête, et toutes communications entre l’INT et les gouvernements concernés.

Le juge de première instance avait reconnu l’existence d’immunités en faveur de la Banque Mondiale, mais a retenu que ces immunités avaient été implicitement levées par l’envoi d’informations à la GRC. En acceptant que la GRC puisse ouvrir une procédure pénale au Canada en se fondant sur les informations envoyées, l’INT acceptait de facto de lever les immunités à son égard et se soumettre aux règles de procédures canadiennes. La Banque Mondiale, bien que ne disposant pas de la qualité de partie à la procédure, interjeta alors appel afin de s’opposer à la production de ses documents (Memorandum of Argument, Groupe de la Banque Mondiale, 19 Février 2015).

La Cour Suprême du Canada a, par jugement pris à l’unanimité, cassé l’ordonnance de première instance.

En substance, la Cour confirme l’immunité dite « d’inviolabilité des archives », soit une immunité de tous les documents de l’organisation internationale, qui ne peut faire l’objet de renonciation même implicitement de la Banque Mondiale. Cette immunité n’entrave néanmoins en rien la possibilité de coopération de la Banque Mondiale.

La Cour reconnaît ensuite que la Banque Mondiale peut renoncer à l’immunité protégeant ses employés, agissant dans le cadre de leur fonction, contre des poursuites, assignations et sommations judiciaires. Néanmoins, cette renonciation ne peut se faire que de manière expresse, ce que la Banque Mondiale s’est toujours explicitement refusé à faire.

Partant, l’envoi d’informations par l’organisation internationale ne peut entraîner de renonciation implicite à son immunité juridictionnelle vis-à-vis du pays récipiendaire des informations. La Cour conclut : « La corruption transcende souvent les frontières. La solution à ce problème mondial nécessite une coopération internationale. Les organisations financières internationales (…) qui transmettent des renseignements glanés auprès d’informateurs aux quatre coins de la planète aux forces de l’ordre des États membres contribuent à faire ce que chacun ne pourrait faire seul. (…) En outre, le fait pour [la Banque Mondiale] de voir son immunité levée implicitement ou par interprétation pourrait avoir un effet paralysant sur sa collaboration avec les forces de l’ordre de chaque pays ou État membre. Un tel effet serait nuisible, les banques multilatérales [dont la Banque Mondiale] étant particulièrement bien placées pour enquêter et intervenir en première ligne à l’échelle internationale dans la lutte contre la corruption » (Jugement de la Cour suprême, Groupe de la Banque Mondiale c. Wallace, 2016 SCC 15 par. 1 et 94, 29 avril 2016).

La protection accrue des enquêtes, des sources et notamment des Whistleblowers l’emporte ainsi sur la garantie des intérêts des personnes. Il n’en reste pas moins que, sans le savoir, les personnes faisant l’objet d’enquêtes par les organisations internationales peuvent voir leurs données transmises sans en être informées et ne pas avoir accès aux documents sur lesquels se fondent une enquête nationale à leur encontre.

En Suisse, la Banque Mondiale est également au bénéfice des mêmes privilèges et immunités que les Etats membres de l’ONU, par application par analogie de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et des Accords sur les privilèges et immunités de l’Organisation des Nations Unies entre le Conseil fédéral suisse et le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies conclue les 11 juin et 1er juillet 1946. En vertu des art. 5 al. 4 et 190 Cst., il n’était pas nécessaire que l’art. 42b LFINMA prévoie le traitement confidentiel des informations obtenues ou en possession d’organisations internationales lorsque celles-ci coopèrent avec la FINMA. Il est en outre vrai que la plupart du temps les informations sont transmises de la FINMA aux organisations internationales et non dans le sens inverse. L’on pourrait néanmoins s’interroger sur une application par analogie de l’article 42a al. 3 LFINMA permettant de refuser la consultation de toute la correspondance avec les autorités étrangères ou tout simplement des art. 26 et ss PA.