Clawback Madoff
Revirement inexpliqué du Tribunal fédéral
Luc Thévenoz
Dans son arrêt 4A_81/2016 du 3 octobre 2016, le Tribunal fédéral a jugé que le gage d’une banque vaudoise ne garantit pas les éventuelles prétentions qu’elle pourrait avoir contre son client en rapport avec l’action révocatoire dont elle est menacée (mais pas encore actionnée) par le liquidateur de Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (BLIMS).
Le contrat de gage (reproduit dans l’arrêt du Tribunal cantonal vaudois) comprenait un libellé large, mais admissible au regard de la jurisprudence. Il visait « toutes les dettes et obligations, présentes ou futures découlant de leurs relations d’affaires que la Banque a ou pourrait avoir à l’avenir avec » le client.
Le Tribunal fédéral ne remet pas en cause la validité du gage. Il ne considère pas que la clause est trop étroite ou appelle une interprétation restrictive. Il ne se prononce pas sur la qualification des prétentions (art. 402 CO ?) de la banque contre son client. Il admet également que deux des trois prétentions invoquées par la banque sont connexes à la relation d’affaires garantie par le gage. Mais il juge que « les parties n’ont pas pu prévoir ni raisonnablement dû prévoir que de telles créances futures éventuelles étaient garanties par le droit de gage. » Il casse donc la décision vaudoise parce qu’elle « méconnaît que la créance future éventuelle à garantir doit être prévisible au moment de la conclusion du contrat et que l’action révocatoire d’un tiers ou autre action à la suite d’une fraude n’entre pas dans cette catégorie. »
La Haute Cour n’explique pas comment ce nouvel arrêt est compatible avec son arrêt 4A_540/2015 du 1er avril 2016, commenté sur ce site, qu’elle ne cite même pas. Dans cette affaire genevoise où une autre banque était exposée aux prétentions du liquidateur d’un fonds nourricier de BLMIS, la Cour de justice avait débouté la banque en considérant qu’elle ne pouvait pas invoquer son gage pour garantir des prétentions qu’elle considérait comme imprévisibles. Or, le 1er avril 2016, le Tribunal fédéral cassait cette décision en considérant que « la créance dont se prévaut la banque est étroitement liée à une opération d’investissement s’inscrivant dans des relations d’affaires prévisibles. Contrairement à l’analyse de l’autorité précédente il faut admettre qu’une telle créance est couverte par le droit de gage. »
Les banques sont-elles couvertes en avril, mais pas en octobre ? Le premier arrêt, rendu par trois juges de la Ière Cour de droit civil, était convaincant. Il est difficile de comprendre comment il peut être entièrement contredit, cinq mois plus tard, par un arrêt de la même Cour, rendu à cinq magistrats (dont les trois de la première formation), destiné à la publication, qui ne cite même pas le précédent et fournit encore moins d’explication à l’appui de ce revirement.