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Emission de jetons numériques

Les enjeux juridiques du guide genevois sur les ICO

L’intérêt pour les méthodes alternatives de financement des entreprises ne cesse de croître. Avec plus de 5 milliards de dollars levés depuis le début de cette année, le marché des Initial Coin Offerings (ICO) a le vent en poupe.  Cependant, l’absence d’une réglementation claire régissant les activités des organisateurs d’ICO, renvoie une image négative des émissions de jetons numériques, souvent critiquées pour leur opacité et leur caractère spéculatif.

Le régulateur helvétique des marchés financiers (FINMA) a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la qualification juridique des jetons émis lors d’une ICO. Dans son guide pratique, publié le 16 février 2018, la FINMA a esquissé les premiers contours d’une future réglementation fondée sur la fonction économique des jetons. Les autorités cantonales ont aussi été amenées à se pencher sur la qualification des projets d’ICO afin de les attirer sur leur territoire. Ainsi, la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (DG DERI) du canton de Genève a publié, le 28 mai 2018, un guide pour accompagner les organisateurs d’ICO en vue de leur établissement à Genève.

Le guide de la DG DERI se présente sous la forme d’un répertoire d’informations tendant à soutenir le positionnement politique du canton de Genève vis-à-vis des ICO.

Dans un premier temps, le guide devrait permettre d’évaluer l’éventuel assujettissement de l’entité juridique initiant l’ICO à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et à l’impôt sur les bénéfices. A l’heure actuelle, les autorités fiscales fédérales n’ont publié aucune directive ou communication relative aux ICO et ne sont pas liées par le guide de la DG DERI. Un ruling fiscal peut ainsi s’avérer nécessaire et doit être obtenu indépendamment du ruling FINMA.

Dans un second temps, le guide aborde les « critères » et le « processus de qualification » des ICO. Or, le terme « qualification » a une connotation juridique très forte qui entre en conflit avec la portée non contraignante et purement informative du guide. Le lecteur pourrait s’interroger sur la base légale qui conduit la DG DERI et son « comité d’experts élargi » à mener une procédure de qualification. Cette question ne trouve pas de réponse dans le guide. Par ailleurs, un éventuel conflit d’intérêts pourrait parfois surgir entre les membres du « comité d’experts » délivrant ladite « qualification » et les conseillers juridiques mandatés par les organisateurs de ces mêmes projets.

Les « critères de qualification » comprennent sept axes :

  • La composition de l’équipe et son écosystème
  • Les aspects technologiques
  • Le concept et le business plan
  • Les aspects juridiques
  • Le processus d’onboarding des investisseurs
  • La stratégie marketing et les relations publiques
  • Le calendrier

Ces critères ne donnent toutefois qu’une vision très schématique des documents qui doivent être produits devant l’administration, sans aucune précision sur leur contenu. Par exemple, lorsque la DG DERI analyse le concept et le business plan du projet d’ICO, l’organisateur devra produire un white paper. Dans la pratique, ce white paper ne donne que très peu d’informations sur le déroulement et les conditions de l’offre. En outre, il remplit rarement les exigences légales d’un prospectus d’émission de valeurs mobilières. Par conséquent, il aurait été préférable qu’au-delà d’une simple énumération des documents nécessaires, l’administration se penche davantage sur leur contenu.

A l’issue de l’analyse des « critères de qualification », l’administration délivre une « appréciation » sur le degré d’avancement du projet aux porteurs d’ICO. Le guide précise, en caractère gras, que la DG DERI est « libre de qualifier les candidats de manière discrétionnaire ». On pourrait s’interroger sur la validité de cette clause, en particulier au regard de l’art. 9 Cst qui protège toute personne contre l’arbitraire.

Le guide indique également que « l’appréciation » délivrée ne peut en aucun cas être utilisée comme « un certificat de qualité » à faire valoir auprès des investisseurs potentiels. Pour éviter les abus, un disclaimer devrait vraisemblablement figurer sur chaque document de « qualification » et indiquer clairement que les investisseurs ne peuvent pas fonder leurs décisions d’investissement sur cette « qualification ». Il est toutefois difficile d’empêcher toute influence sur les futurs investisseurs. Une « appréciation » émanant d’une autorité publique bénéficie d’une certaine légitimité auprès des entrepreneurs et des investisseurs. Elle suscite la confiance, voire des attentes envers l’administration.

L’Etat tente de limiter cet impact par une clause de non-responsabilité figurant à la dernière page du guide. Or, la responsabilité du canton de Genève repose sur la Constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) et la loi sur la responsabilité de l’Etat et des communes (LREC), ce qui signifie que l’Etat ne peut s’exonérer de sa responsabilité dans un simple guide, de rang légal inférieur. La validité de cette clause pourrait dès lors être remise en cause dans le cadre d’un procès en cas de faute grave de l’administration dans la « qualification » du projet, un acte administratif que l’on pourrait éventuellement considérer comme un « acte matériel » au sens de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative (LPA).

 

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