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Responsabilité de la banque

La validité des fictions de réception et de ratification

Une clause de banque restante, qui crée une fiction de réception, est en principe valable sous réserve des règles de l’abus de droit. La clause de banque restante doit être distinguée de la clause de réclamation, laquelle crée une fiction de ratification. Dans un arrêt à cinq juges, le Tribunal fédéral rappelle ces principes et désavoue en partie la Cour de justice genevoise en retenant un abus de droit de la part de la banque qui invoquait la clause de banque restante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_471/2017 du 3 septembre 2018).

Un ressortissant canadien ouvre plusieurs comptes bancaires auprès d’une banque suisse. Le contrat contient une clause de banque restante et les conditions générales prévoient une clause de réclamation. Selon cette dernière, le client doit contester les relevés bancaires dans le délai d’un mois après la réception, faute de quoi ils sont considérés comme approuvés.

Au cours de la relation bancaire, une certaine pratique prend place : le client se rend deux fois par an à la banque pour y rencontrer son chargé de relation. Lors des visites bisannuelles, le client et le chargé de relation examinent, en règle générale, les relevés d’investissement, qui détaillent le contenu du portefeuille du client sur cinq à six pages. Le client signe alors les reçus même s’il ne prend pas forcément connaissance des documents remis.

Entre 2008 et 2009 et sans instruction du client, le chargé de relation achète de nombreuses actions dans une société française, ce qui a pour effet d’augmenter de 15 % à 58 % la part d’actions dans le portefeuille, nonobstant les instructions portant sur une limite à 25 %. Le client n’est ni expressément informé de ces achats, ni renseigné sur les mauvais résultats de la société française, ni même sur les soupçons de fraude qui pèsent sur la société. Ce n’est toutefois qu’au mois de mai 2011 que le client conteste formellement ces achats.

Le client intente une action en paiement contre la banque devant le Tribunal de première instance de Genève. Le Tribunal de première instance rejette la demande portant sur l’achat des actions, mais l’admet pour le second poste. Les deux parties déposent un appel auprès de la Chambre civile de la Cour de justice.

Après avoir qualifié le contrat de gestion de fortune tacite, la Cour constate que même si le client n’a pas été informé de l’achat des actions litigieuses, ces informations ressortaient des relevés d’investissement. Or, en application de la clause de banque restante, le client est réputé avoir pris connaissance de ces informations. Dès lors qu’il n’a pas contesté l’achat des actions dans le délai d’un mois, mais seulement au mois de mai 2011, le client est réputé avoir ratifié ces achats. Selon la Cour, l’application de la fiction de réception ne conduit pas à une situation gravement contraire à l’équité. Concernant le second poste, la Cour admet l’appel et rejette ainsi toutes les prétentions du client (ACJC/842/2017 du 30 juin 2017).

Saisi par le client, le Tribunal fédéral commence par préciser que, contrairement à l’avis de la Cour, la question de la qualification du contrat n’est pas pertinente puisque les clauses de banque restante et de réclamation sont applicables quel que soit le type de contrat bancaire conclu.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite la distinction entre la clause de banque restante, qui crée une fiction de réception, et la clause de réclamation, qui crée une fiction de ratification. Lorsqu’elles sont cumulées, ces clauses peuvent entraîner des conséquences choquantes et leur invocation peut constituer un abus de droit de la part de la banque qui s’en prévaut (cf. sur la validité de ces clauses : Nicolas de Gottrau, cdbf.ch/609, Samuel Zemp, cdbf.ch/623, Laurent Hirsch, cdbf.ch/966, Philipp Fischer, cdbf.ch/984).

En l’espèce, la banque a procédé à des achats importants d’actions, nonobstant la limite de 25 % imposée par le client. Elle s’est ainsi écartée intentionnellement de la stratégie suivie et des instructions du client. La banque abuse ainsi de son droit en invoquant la clause de banque restante (art. 2 al. 2 CC).

La fiction de réception n’étant pas applicable en l’espèce, le Tribunal fédéral se penche sur la fiction de ratification. Même si le client n’a pas été expressément informé des achats d’actions, il disposait des connaissances suffisantes pour constater la part importante d’actions ainsi que la présence de pertes à l’aide des relevés d’investissement. Ainsi, lors de ses visites semestrielles, le client était en mesure de se rendre compte des achats d’actions. Faute de les avoir contestés dans le mois, les achats ont été ratifiés par le client. Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Cet arrêt souligne deux points importants.

Premièrement, les tribunaux doivent constater, dans une action contre une banque, l’étendue des connaissances du client. En l’espèce, alors que le client se considérait comme « un client lambda », la Cour a retenu qu’il disposait de « connaissances suffisantes » pour appréhender la portée des documents remis par la banque. Or, à notre sens, c’est précisément ce point qui a été décisif : sans ces « connaissances suffisantes », la clause de ratification ne lui aurait probablement pas été opposable puisqu’il n’aurait pu comprendre, et donc ratifier, les achats d’actions.

Deuxièmement, mises à part les connaissances du client, le degré de diligence imposé au client lorsqu’il reçoit ces informations peut également être décisif. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral cite Thévenoz, selon lequel « [l]es règles de la bonne foi imposent (…) au client une obligation de diligence relativement à l’examen des communications reçues de la banque et à la contestation des écritures qui lui paraissent irrégulières ou infondées » (Les conditions générales des banques – réflexions sur un législateur innomé, in Mélanges en l’honneur de Pierre Tercier, 2008, p. 460). Or, Lombardini soutient que « le client est tenu de réagir uniquement à partir du moment où il prend réellement conscience de ce qui s’est passé. Le silence du client ne lui est pas opposable s’il n’a pas été renseigné complètement et de façon véridique » (Droit bancaire suisse, 2e éd., Zurich 2008, p. 351). Cet arrêt semble ainsi imposer un degré de diligence relativement élevé au client. Toutefois, à notre avis, ce degré devrait dépendre de la catégorie du client : le « client lambda » ne peut se voir contraint à une diligence aussi accrue que celle du client professionnel (cf. notamment la distinction prévue à l’art. 4 LSFin).