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Procédure pénale

Du for de l’action pénale contre une banque

Dans le cadre d’une procédure pénale impliquant tant une entreprise que des individus externes à celle-ci, le for de la poursuite est au lieu des actes commis par les personnes physiques. Le Tribunal pénal fédéral (TPF) s’est prononcé en ce sens dans une décision du 28 janvier 2020 (BG.2018.60).

Le Ministère public genevois mène depuis 2015 une enquête contre deux gérants de fortune indépendants soupçonnés de diverses infractions financières (gestion déloyale, abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres) sur des comptes dont les prévenus avaient la gestion au travers de leur société D. SA. L’instruction a ensuite été étendue pour blanchiment d’argent à l’encontre de collaborateurs de la banque qui abritait les comptes, ainsi que contre la banque elle-même. À noter que la banque est simultanément partie plaignante dans la procédure. Le siège de la banque est à Zurich mais les actes sous enquête ont été commis à Genève.

La banque conteste la compétence du Ministère public genevois. À titre subsidiaire, elle sollicite la disjonction de la procédure. Le TPF lui donne tort.

Conformément à l’art. 31 al. 1 CPP, le for ordinaire de la poursuite pénale est au lieu de commission de l’acte. En matière de responsabilité pénale de l’entreprise, un for spécial est toutefois prévu au lieu du siège de celle-ci (art. 36 al. 2 CPP). Il vaut également à l’égard de la personne physique qui a agi au sein de l’entreprise et qui est poursuivie dans le cadre de la même procédure (art. 36 al. 2, 2ème phrase CPP, cf. aussi art. 112 al. 4 CPP). Toutefois, si le for ne peut pas être fixé selon l’art. 36 al. 2 CPP, l’art. 31 CPP s’applique (art. 36 al. 3 CPP). Enfin, conformément à l’art. 33 CPP, les divers participants à une infraction doivent être poursuivis et jugés par une même autorité.

En l’espèce, la banque faisait valoir que les décisions étaient prises à Zurich, que la documentation utile y était conservée, et que c’était également là que se trouvait la personne chargée de superviser l’activité du bureau des gérants indépendants de Genève. Cet argument se rattache à la notion de défaut d’organisation, qui est la condition nécessaire pour imputer l’infraction commise par une personne physique à l’entreprise au sein de laquelle les actes ont été perpétrés (cf. art. 102 al. 2 CP).

En réponse, le TPF reprend les arguments du Ministère public genevois. Les informations nécessaires à l’enquête sont disponibles aussi bien à Genève qu’à Zurich. Une disjonction des procédures demanderait une coordination entre autorités propre à compliquer l’enquête et irait à l’encontre du principe d’unité de l’action pénale.

En outre, la règle de l’art. 36 al. 2, 2ème phrase CPP ne peut pas trouver application car la procédure ne concerne pas seulement des collaborateurs de la banque mais également des tiers, soit les deux gérants de fortune indépendants, qui ne peuvent être poursuivis par les autorités zurichoises, faute d’un rattachement territorial dans ce canton.

Le for ne pouvant pas être établi conformément à l’art. 36 al. 2 CPP, il doit être fixé à Genève, en application de l’art. 36 al. 3 CPP. Pour le surplus, le fait que la banque ne soit pas inscrite au registre du commerce du canton de Genève ou que ses dirigeants soient domiciliés à Zurich ne joue pas de rôle dans la détermination de l’autorité territorialement compétente.

La position du TPF est convaincante : le principe d’économie de procédure et le souci d’éviter, cas échéant, des décisions contradictoires plaident en faveur d’une seule poursuite pour un même complexe de faits. La notion d’acte au sens de l’art. 31 CPP renvoie au comportement de la personne physique et non à la « contribution » de l’entreprise à l’infraction, à savoir son défaut d’organisation. L’implication de personnes extérieures à l’entreprise s’oppose à la fixation du for au siège de la banque. Sur le plan du raisonnement en revanche, la mention de l’art. 33 CPP revêt une pertinence limitée. La banque peut être considérée comme une « participante » à l’infraction dont ses collaborateurs sont soupçonnés – soit le blanchiment d’argent. Elle ne saurait en revanche revêtir une telle qualité s’agissant des infractions reprochées aux gérants indépendants, dont elle n’est d’ailleurs, et à juste titre, pas prévenue. Une entreprise ne répond pénalement pas des actes d’individus qui lui sont extérieurs. En outre, l’application de l’art. 38 CPP doit in casu être préférée à celle de l’art. 36 al. 3 CPP. Cette dernière disposition vise le cas dans lequel la compétence au lieu du siège ne peut pas être établie, en particulier parce que l’entreprise a son siège à l’étranger. L’art. 38 CPP, en revanche, permet une dérogation au for prévu par l’art. 36 al. 2 CPP pour des motifs pertinents (notamment au regard de la part prépondérante de l’activité délictueuse).