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Surveillance bancaire

Les fondations et la CDB : quelle interprétation ?

Le 3 avril 2020, l’ASB a publié par sa Circulaire n° 8025 les Leading Cases de la Commission de surveillance CDB du second semestre 2019. Trois des points commentés par la Commission (D.2 à D.4) concernent l’ouverture de comptes pour des fondations à but idéal (ou d’utilité publique). Au point D.4, la Commission conclut que la CDB 16 imposerait l’utilisation du Formulaire S pour l’ouverture de comptes de fondations à but idéal. Cette décision a surpris nombre de praticiens dès lors qu’elle ne correspond ni au texte ni à l’esprit de la CDB 16, pas plus qu’à la pratique. Il est important de se pencher sur ces cas, dès lors que la CDB 20 et le Commentaire relatif à la CDB 20 n’ont pas changé les règles concernant les fondations à but idéal.

La Commission indique s’appuyer sur le texte, la systématique et l’historique de la CDB 16, tout en formalisant ce que certains de ses membres ou représentants affirment régulièrement lors d’événements publics, à savoir qu’elle ne serait pas liée par le Commentaire relatif à la CDB 16. Elle retient que l’art. 40 CDB 16 s’appliquerait à toute fondation, quelle que soit sa nature, alléguant que ledit article ne prévoirait aucune exception. Elle se réfère aussi à l’art. 39 al. 4 let. a CDB 16, dont elle nie l’applicabilité aux fondations à but idéal, en mentionnant à deux reprises « le cas de sociétés de domicile qui ont [un but idéal] ». Enfin, elle cite le Commentaire relatif aux art. 40 et 41 CDB 16 et en rejette l’application, estimant apparemment que celui-ci serait contraire au texte clair de la CDB 16.

L’interprétation de la Commission peut être critiquée sur plusieurs aspects. Premièrement, elle cite imparfaitement l’art. 39 al. 4 let. a CDB 16 qui ne traite pas de sociétés de domicile à but idéal mais indique précisément que « [ne] sont pas considérées comme étant des sociétés de domicile les sociétés qui (…) ont pour but la sauvegarde des intérêts de leurs membres ou de leurs bénéficiaires collectivement et par leurs propres moyens, ou qui poursuivent [un but idéal] ». Deuxièmement, elle méconnait que l’art. 40 CDB 16 et le Formulaire S ne s’appliquent qu’aux fondations ayant le statut de société de domicile (cf. notamment l’art. 40 al. 3 CDB 16 a contrario) et s’inscrivent dans la ligne des règles préexistantes pour les trusts notamment. Enfin, pour déterminer les règles applicables aux fondations à but idéal, la Commission applique imparfaitement la distinction créée pour mettre en œuvre le nouvel art. 2a al. 3 LBA introduit par la Loi GAFI entre le Chap. 3 CDB 16 (identification des détenteurs du contrôle des sociétés opérationnelles) et le Chap. 4 CDB 16 (identification des ayants droit économiques des valeurs patrimoniales).

La CDB 16 ne connait que deux types de sociétés et personnes morales (opérationnelles ou « de domicile »). Or, les fondations à but idéal n’étant pas des sociétés de domicile (art. 39 al. 4 let. a CDB 16), elles sont donc soumises au régime du Chap. 3 CDB 16, soit notamment l’art. 25 al. 1 CDB 16 qui prévoit que « [aucune] déclaration relative aux détenteurs du contrôle n’est exigée des sociétés et communautés [à but idéal], pour autant qu’elles se tiennent exclusivement aux buts précités et ne présentent pas de lien reconnaissable avec des pays à risque accru ». En pratique, par l’application des art. 39 al. 4 let. a cum art. 25 al. 1, la CDB 16 prévoit que, pour l’ouverture de compte d’une fondation à but idéal poursuivant exclusivement son but et sans lien avec des pays à risque accru, aucun Formulaire CDB n’est requis. Dans l’hypothèse où il y a des liens avec des pays à risque accru, il faut en revanche recueillir un Formulaire K. Celui-ci désignera en général comme détenteur(s) du contrôle la ou les personnes dirigeantes. En effet, on peine à voir comment une personne pourrait détenir 25 % ou plus du capital d’une fondation à but idéal, voire exercer le contrôle « d’une autre manière reconnaissable », sans en être un des dirigeants ou sans violer potentiellement la gouvernance de la fondation. Ce qui précède s’applique mutatis mutandis aux associations et aux trusts poursuivant un but idéal.

En conclusion, on ne peut que regretter l’insécurité juridique et pratique provoquée par ces Leading cases de la Commission. D’une part, au vu de l’avertissement contenu dans leur let. E, les banques vont se sentir obligées de recueillir un Formulaire S pour l’entrée en relation d’affaires avec des fondations à but idéal, ceci alors même que le Formulaire S n’a pas été prévu pour ces cas et n’est ni pleinement pertinent ni adéquat (Qui est le fondateur effectif d’une fondation recourant régulièrement à des dons de personnes et sociétés ? Va-t-on mentionner les autorités fédérale et cantonales de surveillance des fondations comme « tiers au bénéfice d’un pouvoir de désignation ou de nomination des représentants de la fondation » ? Comment mentionner le dirigeant de la fondation ?). D’autre part, en faisant fi de l’art. 3 CDB 16 (reconnu par la FINMA) selon lequel « [l’ASB] édicte un commentaire des articles de la présente Convention [sur lequel il convient de se fonder] pour l’interprétation de la Convention », la Commission s’accorde un droit exorbitant d’ignorer le Commentaire rédigé par les auteurs de la CDB afin d’expliquer et illustrer celle-ci.

Dans ce contexte et dans une démarche prospective, afin d’améliorer la lisibilité des règles de la CDB devenues complexes au fil du temps (suite à l’introduction de l’identification des détenteurs du contrôle, mais aussi à la prise en compte de recommandations du GAFI, du Forum mondial, etc.) et pour anticiper une éventuelle évolution dans l’identification des détenteurs du contrôle/ayants droit économiques des fondations à but idéal en lien p. ex. avec l’échange automatique de renseignements, il pourrait être opportun de réexaminer dès aujourd’hui la formalisation des obligations de diligence liées aux fondations (associations et trusts) à but idéal.