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Enforcement

Affaire 1MDB : le TF confirme une interdiction d’exercer

En janvier 2019, le Tribunal administratif fédéral a annulé une décision de la FINMA prononçant, sur la base de l’art. 33 LFINMA, une interdiction d’exercer de deux ans contre Albert, un ancien cadre de Falcon Privat Bank, dans le cadre de l’affaire du fonds souverain malaisien 1MDB (B-488/2018 du 17.1.2019, commenté in Guillaume Braidi, cdbf.ch/1046). Sur recours de la FINMA, le Tribunal fédéral lui donne tort dans un arrêt du 11 mars 2020 (2C_192/2019, non destiné à la publication, et dont le dispositif a été rectifié par l’arrêt 2G_2020 du 16 avril 2020).

Albert travaillait en qualité de General Counsel au sein de Falcon Privat Bank et dirigeait le département Legal & Compliance. Il n’était pas membre de la direction générale de la banque. Selon les directives internes, la direction générale était responsable de la mise en œuvre du dispositif anti-blanchiment, avec l’aide de la Compliance qui faisait office de service spécialisé de lutte contre le blanchiment. La communication d’un soupçon de blanchiment d’argent au MROS au sens de l’art. 9 LBA était du ressort de la Compliance, mais la direction devait au préalable être consultée. Il ne ressort pas clairement de l’état de fait qui prenait concrètement la décision de communiquer au MROS, mais ce n’était pas Albert (en tout cas pas lui seul). L’aval de la direction était visiblement indispensable.

En 2013, Hubert, homme d’affaires proche de la famille du premier ministre malaisien, a été introduit auprès de la banque par le président du conseil d’administration. Il a ouvert des comptes au nom de quatre sociétés off shore dans les livres de la succursale singapourienne de la banque. La relation a été classée à haut risque. Deux autres clients, également amenés par le président du conseil d’administration, étaient en rapport avec Hubert. Les trois relations d’affaires étaient gérées depuis Zurich par la même conseillère, à qui l’on a expliqué que ses clients étaient impliqués dans des activités commerciales en lien avec une Joint Venture entre le fonds 1MDB et la société d’investissement propriétaire de Falcon Private Bank.

Les 21 et 25 mars 2013, des transactions suspectes d’un montant de près de 2.5 milliards de dollars ont été effectuées sur les comptes détenus par Hubert.

La banque a posé des questions, effectué quelques recherches. Les réponses qu’elle a obtenues étaient largement insatisfaisantes, les investigations sont restées sans grand résultat. L’une des transactions a été justifiée par le président du conseil d’administration de la banque. Un entretien téléphonique a eu lieu entre Albert et le directeur de la succursale de Singapour, duquel il ressort que le caractère hautement suspect des opérations avait été détecté. Des pressions sont venues d’en haut pour exécuter rapidement les transactions.

Entre mars et novembre 2013 plusieurs autres virements douteux ont été effectués sur les comptes de Hubert. Là encore, des clarifications complémentaires ont été entreprises sans résultats « rassurants » et on comprend des faits retenus par le Tribunal fédéral que les suspicions allaient bon train au sein de la banque. L’autorité de surveillance des marchés financiers singapourienne (MAS), dans le cadre d’une inspection dans la succursale de la banque, a d’ailleurs estimé que la due diligence de la relation d’affaires avec Hubert était insatisfaisante.

Albert était très impliqué et a joué un rôle actif dans le processus de clarification des transactions suspectes.

La banque n’a pas effectué de communication au MROS.

En octobre 2016, la FINMA a rendu une décision à l’encontre de Falcon Privat Bank constatant des graves violations de la législation anti-blanchiment (communiqué du 13 octobre 2016).

En décembre 2017, elle a prononcé l’interdiction d’exercer pour une durée de deux ans à l’encontre d’Albert, mesure que le TAF a annulée.

Dans son arrêt du 2 mars 2020, le TF commence par confirmer l’applicabilité ratione loci de la LBA : les comptes de Hubert étaient certes ouverts dans les livres de la succursale singapourienne de la banque, mais ils étaient gérés par une conseillère clientèle à Zurich.

Sur le fond, le TF rappelle qu’une interdiction d’exercer au sens de l’art. 33 LFINMA suppose une violation grave du droit de la surveillance par l’assujetti – en l’occurrence Falcon Privat Bank –, manquement qui doit être personnellement imputable à la personne que l’on envisage de sanctionner.

En l’espèce, le défaut d’annonce au MROS constitue une violation grave du droit de la surveillance. Le TF, à l’instar du TAF, admet que celle-ci est imputable à Albert : en sa qualité de chef de la division compliance, ce dernier aurait dû à tout le moins proposer à la direction d’effectuer une communication, ce qu’il n’a visiblement pas fait.

Le désaccord entre le TAF et le TF se situe sur le plan de la proportionnalité. Les juges saint-gallois ont qualifié la faute d’Albert de légère en prenant en considération, en particulier, les éléments suivants : la compétence décisionnelle en matière de communication au MROS ne lui appartenait pas ; les membres de la direction générale avaient été fortement impliqués dans l’affaire et avaient usé de pressions ; Albert avait été trompé par le président du conseil d’administration en lien avec certaines transactions suspectes.

La décision de la FINMA se révélait donc disproportionnée.

Sur cette question, le TF est beaucoup plus sommaire que le TAF. L’implication de la direction générale dans l’affaire constitue un défaut d’organisation de la banque, qui ne fait cependant pas obstacle à l’imputabilité de la violation du droit de la surveillance à Albert. En particulier, ce dernier devait s’en tenir aux obligations de diligence que son statut de directeur Compliance lui imposait, la pression exercée par sa hiérarchie n’étant pas une circonstance exculpatoire.

La mesure d’interdiction d’exercer se révèle ainsi conforme au droit.

Si une leçon doit être retenue de cet arrêt c’est, à l’évidence, la suivante. Lorsque la compétence décisionnelle pour effectuer une communication n’a pas été déléguée au service Compliance (cf. art. 25a OBA-FINMA), le responsable de ce département, en présence d’une relation d’affaires « suspecte » au sens de l’art. 9 LBA, doit à tout le moins suggérer (par écrit) à la direction d’effectuer la communication requise par le dispositif anti-blanchiment.