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Services de paiement

Swisscom, un intermédiaire financier inattendu

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé sur l’interprétation de la notion de « service dans le domaine du trafic des paiements » au sens de la LBA (2C_488/2018 du 12 mars 2020). La situation factuelle peut être résumée comme suit.

Swisscom propose des Mobile Value Added Services (« MVAS« ) permettant à ses clients de payer un service en envoyant un SMS à un numéro spécifique. Dans la décision en cause, le paiement visé était le supplément de CHF 5 pour des trajets de nuit dans les transports publics zurichois.

Dans le cadre des MVAS, Swisscom permet à des tiers d’offrir leurs services à des clients, détermine le numéro auquel les clients doivent envoyer le SMS, transfère les données pertinentes entre le téléphone du client et le prestataire de services et facture les services sur le décompte mensuel du client.

Dans l’arrêt résumé ici, le Tribunal fédéral a retenu que les MVAS constituaient des « services dans le domaine du trafic des paiements » qui déclenchent l’application de la LBA.

Les MVAS sont des « services dans le domaine du trafic des paiements ».

Une personne qui fournit, à titre professionnel, un service dans le domaine du trafic des paiements est qualifiée d’intermédiaire financier (art. 2 al. 3 let. b LBA). L’émission ou la gestion de moyens de paiement non liquides dont le cocontractant (ici : le client final) se sert pour payer un tiers (ici : les transports publics zurichois) constitue un service dans le domaine du trafic des paiements (art. 4 al. 1 let. b OBA).

En raison des différentes prestations fournies par Swisscom dans le cadre des MVAS, le Tribunal fédéral a considéré que Swisscom offrait un « service dans le domaine du trafic des paiements », par opposition à un simple service de recouvrement.

Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal fédéral s’inspire notamment du droit européen selon lequel les services proposés par un système de télécommunications doivent être considérés comme des services de paiement si l’opérateur n’agit pas uniquement en qualité d’intermédiaire pour la livraison des services concernés, mais « ajoute également de la valeur » à ces services (cf. Directive PSD2, considérants 15-16 et art. 3 let. l). La Directive PSD2 évoque notamment la fourniture d’informations météorologiques ou des cours de bourse.

Le « service dans le domaine du trafic des paiements » doit être distingué du « système de paiement ».

Les « services dans le domaine du trafic des paiements » (Dienstleistungen für den Zahlungsverkehr, art. 2 al. 3 let. b LBA) doivent être distingués des « systèmes de paiement » (Zahlungssysteme, art. 2 al. 2 let. dter LBA) :

  • Un système de paiement est une infrastructure des marchés financiers qui compense et règle des obligations de paiement ( 2 let. a ch. 6 et art. 81 LIMF). Si le fonctionnement des marchés financiers ou la protection des participants aux marchés financiers l’exigent, l’exploitant d’un système de paiement qui ne bénéficie pas d’une licence bancaire doit obtenir une autorisation de la FINMA (art. 4 al. 2 LIMF), ce qui déclenche l’application de la LBA (art. 2 al. 2 let. dter LBA).
  • En revanche, l’application de la LBA aux services dans le domaine du trafic des paiements est indépendante d’une quelconque autorisation de la FINMA ( 2 al. 3 let. b LBA).

Par conséquent, c’est à tort que Swisscom a considéré que les MVAS n’étaient pas soumis à la LBA en raison de l’absence d’obligation d’obtenir une autorisation de la FINMA.

Les MVAS ne sont pas des « services de recouvrement de créances ».

Swisscom a tenté de se prévaloir d’un arrêt du Tribunal fédéral 2A.62/2007 du 30 novembre 2007, intégré ultérieurement dans les règles de la FINMA (Circulaire FINMA 2011/1, § 59), puis dans l’ordonnance (art. 2 al. 2 let. a ch. 2 OBA) selon lequel les services de recouvrement de créances ne sont pas soumis à la LBA.

Le Tribunal fédéral a considéré que Swisscom offrait plus qu’un simple service de recouvrement de créances, notamment au vu des différentes prestations fournies par Swisscom (cf. ci-dessus) et de l’existence d’un contrat entre Swisscom et le client (ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’un service de recouvrement). Par conséquent, les MVAS ne pouvaient pas bénéficier de cette exception.

Observations

Il convient de souligner que Swisscom a, semble-t-il délibérément, choisi de ne pas invoquer les règles de minimis de la LBA. Selon l’art. 7a LBA, l’intermédiaire financier peut renoncer au respect des obligations de diligence si la relation d’affaires porte uniquement sur des valeurs patrimoniales de faible valeur et s’il n’y a pas d’indices de blanchiment d’argent. Dans le domaine des moyens de paiement, les art. 11 et 12 OBA-FINMA détaillent les seuils qui permettent un allègement ou une renonciation aux obligations de diligence (cf. également le graphique très utile qui figure dans le Rapport annuel 2015 de la FINMA, p. 66-67). La Directive PSD2 prévoit du reste également un régime de minimis en exemptant par exemple les opérations proposées par un fournisseur de services de communications électroniques pour l’achat de billets dont la valeur ne dépasse pas EUR 50 (sur une base individuelle) et EUR 300 (sur une base cumulée par mois) (art. 3 let. l (ii) de la Directive PSD2).

Cet arrêt illustre les écueils de la règlementation suisse en matière de trafic des paiements. Tout projet impliquant la fourniture d’un service en matière de « paiement » doit ainsi faire l’objet d’une analyse dans une perspective de surveillance prudentielle et de règlementation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.