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Enquêtes internes

Vers une exploitabilité en procédure pénale des auditions des collaborateurs

L’arrêt du Tribunal fédéral 6B_49/2020 du 26 mai 2020 (non destiné à la publication) a été rendu dans le domaine médical et non dans le contexte des marchés financiers. Mais l’une des problématiques abordée dans cette décision porte sur une question d’actualité pour le monde bancaire : les déclarations à charge effectuées par le collaborateur d’une entreprise dans le cadre d’enquêtes internes en lien avec d’éventuels manquements à la compliance au sein de l’établissement sont-elles exploitables dans la procédure pénale contre cet employé ?

La trame est une opération médicale qui a eu lieu le 31 janvier 2011 et s’est mal terminée. De l’acide acétique concentré à 98 % – en lieu et place d’une concentration usuelle de 3 à 5 % – a été utilisé par erreur sur le patient d’une institution de santé lors de l’intervention. B. était le préparateur en pharmacie et responsable de la pharmacie pour le bloc opératoire en question. Une note d’entretien avec B., datée du 9 février 2011 et rédigée par le responsable adjoint du bloc opératoire, figure au dossier pénal. Selon les faits établis par l’instance inférieure, l’entrevue s’était tenue dans un cadre purement professionnel et visait à déceler d’éventuels dysfonctionnements au sein de l’établissement de santé.

Condamné pour lésions corporelles par négligence, B. conteste, notamment, devant le Tribunal fédéral l’exploitabilité du compte-rendu d’entretien, au nom du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (ci-après : principe nemo tenetur). Les juges de Mon Repos lui donnent tort sur ce point (étant précisé que le recours est admis pour d’autres motifs).

A l’appui de son grief, B. invoque la doctrine qui, de manière générale, estime que les déclarations de collaborateurs recueillies par l’employeur dans le cadre d’enquêtes internes ne sont pas exploitables. Les arguments avancés sont l’absence de garanties procédurales comparables à celles du droit de procédure pénale, la position de subordination de l’employé et le risque encouru par ce dernier en cas de refus de coopérer.

Selon le recourant, l’utilisation de tels propos dans la procédure pénale ne serait admissible que si l’employeur signifie au préalable à son collaborateur les divers droits de l’accusé mentionnés à l’art. 158 CPP. Le principe nemo tenetur en fait partie (art. 158 al. 1 let. b CPP).

Pour le Tribunal fédéral, une application analogique de l’art. 158 CPP n’est pas une solution adéquate. En pratique, les règles de la procédure pénale ne pourraient jamais être observées par un employeur, qui ne peut se substituer aux autorités pénales et décrire les éventuelles charges pesant sur son collaborateur. Le mécanisme reviendrait donc à exclure toute exploitation en procédure pénale d’éléments recueillis – y compris licitement – lors d’enquêtes internes conduites par l’employeur, et ce alors même que le prévenu pourrait avoir intérêt à se prévaloir de ses déclarations effectuées dans ce contexte.

Notre Haute Cour rappelle également qu’« un prévenu peut (…) – certes hors d’un cadre dans lequel il se trouve dans une situation de subordination découlant d’un contrat de travail – s’incriminer auprès de tiers après la commission d’une infraction et voir ses déclarations retenues à sa charge, puisque la preuve par ouï-dire (…) n’est pas en tant que telle exclue en droit pénal ».

Enfin, elle relève que même si le refus de coopérer de l’employé peut affecter les rapports de travail, celui-ci n’a pas été contraint de collaborer sous la menace d’une sanction étatique, dans le cadre d’un interrogatoire mené par une autorité.

C’est au stade de la force probante que le Tribunal fédéral tente de réconcilier l’exploitation du compte-rendu d’entretien avec le principe nemo tenetur. Le document n’a pas été signé par le recourant, qui n’aurait au demeurant pas été informé de la tenue d’un procès-verbal lors de l’entrevue, et son auteur – le responsable adjoint du bloc opératoire – n’a pas été auditionné par les autorités pénales à propos de l’entretien. Il doit donc être considéré comme une simple allégation de partie émanant de l’établissement de santé – puisque rédigé par l’un de ses employés – qui était également partie à la procédure.

Le format bref du présent commentaire ne permet pas une discussion approfondie de la problématique et nous nous limiterons donc à quelques courtes observations sur cet arrêt.

  • La position du Tribunal fédéral s’inscrit dans la ligne de l’ATF 142 IV 207 – bien connu des praticiens du droit pénal économique –, dans lequel les juges de Mon Repos avaient retenu que des interrogatoires privés internes informels constituaient du matériel de preuve utilisable. On rappelle que cette jurisprudence s’inscrivait dans le cadre d’une procédure de levée des scellés, qui ne tranche pas de manière définitive la question de l’exploitabilité des preuves. En outre, la partie à la procédure n’était pas l’employé qui se prévalait du principe nemo tenetur mais la banque prévenue.
  • La collecte, même licite, d’une preuve par un privé ne signifie pas encore qu’elle soit exploitable dans la procédure pénale (cf. consid. 5.3). Il est par ailleurs clair que si le prévenu entend se prévaloir de son interrogatoire, ce dernier peut être librement utilisé.
  • Le Tribunal fédéral effectue un parallèle entre des déclarations effectuées dans le cadre professionnel en vertu d’une obligation de collaborer et des propos tenus à un tiers. Le rapprochement ne nous semble pas adéquat. La seconde situation, au contraire de la première, fait appel au libre arbitre du prévenu.
  • La résolution de la question sous l’angle de la valeur probante nous parait trop dépendante du cas d’espèce. La problématique appelle l’établissement de lignes directrices généralisables par la jurisprudence, voire même une réponse du législateur.
  • Une piste de réflexion pour la question de l’exploitabilité des propos pourrait s’articuler autour du caractère prévisible de la procédure pénale au moment où les déclarations incriminantes sont effectuées.