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Assistance administrative en matière fiscale

La banque n’a pas qualité pour recourir

Dans l’arrêt 2C_417/2019 du 13 juillet 2020, le Tribunal fédéral tranche une question juridique controversée en assistance administrative en matière fiscale. Il a dû déterminer si et à quelles conditions une banque, agissant en tant que détenteur de renseignements, peut se voir reconnaître la qualité de partie à une procédure d’assistance administrative visant l’un de ses clients.

Les faits sont, en substance, les suivants. La Direction Générale des Finances Publiques française (DGFP) a envoyé quatre demandes d’assistance administrative à l’Administration fédérale des contributions (AFC). La DGFP a requis la transmission d’informations en lien avec des comptes bancaires détenus par des contribuables français auprès de deux banques suisses (ci-après les « détenteurs de renseignements »). À la suite d’ordres de production communiqués par l’AFC, les détenteurs de renseignements ont demandé à l’AFC de se voir accorder le statut de partie à la procédure d’assistance administrative.

Par décision du 3 janvier 2019, l’AFC a rejeté ces demandes au motif que la norme de l’OCDE et le Protocole Additionnel de la CDI CH-FR ne prévoient pas qu’un détenteur de renseignements puisse avoir accès au dossier d’une procédure d’assistance administrative. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision de l’AFC et a rejeté le recours des détenteurs de renseignements (A-630/2019), lesquels ont dès lors recouru au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral relève d’emblée que la Loi fédérale sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale ne règle pas expressément la qualité de partie à la procédure. L’art. 19 al. 2 LAAF règle toutefois la qualité pour recourir contre une décision, laquelle est accordée à la personne concernée par la décision ainsi qu’aux autres personnes qui remplissent les conditions prévues à l’art. 48 PA.

Le Tribunal fédéral retient donc que la qualité de partie du détenteur de renseignements s’analyse au regard des conditions de l’art. 48 PA. À teneur de cette disposition, a qualité pour recourir quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité inférieure ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est spécialement atteint par la décision attaquée (let. b), et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c).

Le Tribunal fédéral précise que l’art. 48 PA doit s’appliquer de manière conforme aux exigences internationales rappelées au chiffre XI du Protocole Additionnel de la CDI CH-FR, soit sans pour autant entraver ou retarder indûment les échanges effectifs de renseignements. Selon le Tribunal fédéral, un retard excessif pourrait notamment résulter d’un large cercle de personnes revêtant la qualité de partie à une procédure. Par conséquent, la qualité de partie d’une banque à une procédure d’assistance administrative devrait être retenue avec réserve.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral se réfère à sa jurisprudence développée en entraide judiciaire internationale en matière pénale, et plus précisément à l’ATF 128 II 211, dans lequel il a retenu qu’une banque n’a pas la qualité pour recourir lorsque, sans être touchée dans la conduite de ses propres affaires, elle doit simplement remettre des documents concernant les comptes de ses clients. Selon le Tribunal fédéral, les considérants de l’ATF 128 II 211 sont déterminants pour la présente affaire dans la mesure où tant l’art. 48 PA que l’art. 80h EIMP font dépendre la qualité pour recourir du détenteur de renseignements de l’existence d’un intérêt digne de protection.

En l’espèce et conformément à l’ATF 128 II 211, le Tribunal fédéral retient donc que, en principe, une banque ne dispose pas d’un intérêt digne de protection dans le cadre d’une procédure d’assistance administrative si elle se limite à transmettre des informations sur des comptes bancaires de ses clients et non pas sur la conduite de ses propres affaires.

Une exception à ce principe est envisageable seulement si la banque est touchée dans une mesure comparable à celle de la personne concernée par la décision. Tel serait par exemple le cas si la banque risquait de s’auto-incriminer en remettant les informations. Ce risque doit toutefois se manifester par des indications concrètes que l’État requérant utiliserait les informations obtenues dans le cadre de procédures (pénales) ouvertes contre la banque en violation de son obligation de garder les informations secrètes en vertu de l’art. 28 al. 2 CDI CH-FR ou du principe de spécialité par exemple. Encore faut-il qu’il existe un risque sérieux que l’État requérant ignore le principe nemo tenetur se ipsum accusare dans le cadre de l’éventuelle procédure nationale contre la banque. À cet égard, le Tribunal fédéral rappelle une fois de plus le principe de la confiance entre États. Une telle conclusion ne pourra alors être tirée que sur la base de preuves concrètes et avérées.

En l’espèce, le Tribunal fédéral retient qu’il n’existe (i) aucune indication d’un risque de violation du principe de spécialité ou du principe nemo tenetur se ipsum accusare par les autorités françaises ni (ii) aucun risque de réputation pour les détenteurs de renseignements. Pour le surplus, il considère que les détenteurs de renseignements ne peuvent tirer aucun argument de l’affaire ayant opposé UBS à l’AFC (TAF A-1488/2018 et TF 2C_653/2018). Dans cette affaire, certes le premier a accordé le statut de partie à UBS mais le second a expressément laissé ouverte la question de savoir si la décision était correcte sur ce point. Dans la présente affaire, le Tribunal fédéral a donc rejeté le recours des détenteurs de renseignements retenant ainsi qu’ils ne disposent d’aucun intérêt digne de protection.

Il ressort de l’arrêt présenté que la qualité de partie d’une banque à une procédure d’assistance administrative ne sera en pratique que très rarement reconnue lorsque la banque se limite à remettre des informations. En effet, il est difficile voire impossible de prouver concrètement un risque de violation du principe de spécialité ou de l’obligation de garder les informations secrètes en amont de la violation elle-même. De plus, les risques soulevés sont malheureusement souvent écartés par de simples confirmations génériques du respect du principe de spécialité ou de l’obligation de confidentialité par l’État requérant.