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Clause de réclamation

La contestation tardive d’opérations bancaires

À quelles conditions une clause de réclamation déploie ses effets ? Dans un arrêt du 1er décembre 2020, la Cour de justice genevoise se penche sur cette problématique à l’aune d’une affaire dans laquelle la cliente aurait tardé à contester des opérations prétendument effectuées sans instruction (ACJC 1747/2020, entré en force).

La cliente, qui a étudié la finance et travaillé au sein d’une banque en Angleterre, ouvre un compte à Genève. Elle n’octroie aucun mandat de gestion de fortune ou de conseil en placement à la banque. Elle signe la documentation contractuelle, qui comprend notamment une clause de banque restante et une clause de réclamation. Cette dernière a la teneur suivante :

« Any complaints of the Account Holder regarding the execution or non-execution of orders of any kind, or objections to a statement of account or safekeeping account, or other communications, shall be submitted to the Bank immediately, or at the latest no later than one month after receipt of the corresponding advice. (…) The Account Holder shall bear any damages and/or losses resulting from late objections. (…) ».

La cliente et son chargé de relation développent une relation d’amitié. Ils échangent régulièrement par téléphone et courrier électronique. À deux reprises, la cliente signe un accusé de réception confirmant que la correspondance banque restante lui a été remise.

Lors du départ du chargé de relation, un nouveau chargé appelle la cliente pour lui demander ce qu’elle veut faire avec les opérations sur le marché des changes, lesquelles avaient engendré des pertes de USD 500’000.-. Surprise et choquée, la cliente se plaint auprès de l’ancien chargé de relation de n’avoir jamais été informée de ces pertes.

Après avoir demandé et reçu l’intégralité des relevés bancaires, la cliente confirme à la banque qu’elle les a bien examinés. Plus de trois mois plus tard, la cliente se retourne contre la banque en alléguant qu’elle n’avait jamais autorisé les opérations forex. De son côté, le chargé de relation affirme n’avoir jamais effectué d’opérations sans instruction de la cliente. Néanmoins, aucune trace d’instructions relatives à des opérations sur le marché des changes ne se trouve dans le dossier de la banque ou dans les enregistrements d’entretiens téléphoniques. La cliente allègue également qu’elle n’avait pas reçu la documentation bancaire lorsqu’elle a signé les accusés de réception.

Saisi d’une demande en paiement de USD 1’070’582.-, le Tribunal de première instance déboute la cliente. Il laisse ouverte la question de l’existence d’instructions de la cliente. En effet, la cliente a, en tout état, ratifié les transactions. Vu ses connaissances et son expérience dans le domaine bancaire, il est peu vraisemblable qu’elle ait signé des accusés de réception sans avoir reçu la documentation banque restante. Elle pouvait par ailleurs comprendre, grâce sa formation dans la finance, que son portefeuille comprenait des positions forex. Même si les parties étaient liées par une relation execution only, la cliente devait vérifier les documents remis. À défaut de contestation dans le délai, la cliente était réputée avoir ratifié les opérations litigieuses.

Sur appel de la cliente, la Cour de justice se penche sur la fiction de ratification découlant de la clause de réclamation.

La Cour de justice commence par rappeler la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la validité de telles clauses. En particulier, la fiction de ratification s’applique aux opérations que le client aurait dû découvrir en y prêtant l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui.

La clause de réclamation est parfois jumelée d’une clause de banque restante, laquelle entraine une fiction de réception. Lorsque la banque s’écarte intentionnellement des instructions de son client alors que rien ne le laissait prévoir, la banque commet un abus de droit en se prévalant de cette double fiction (réception et ratification). Cela étant, le Tribunal fédéral a récemment considéré que cette jurisprudence n’était pas applicable lorsque le client avait reçu la documentation et qu’il pouvait ou devait se rendre compte de l’irrégularité des opérations (4A_449/2018  commenté in cdbf.ch/1061). Il convient alors de constater l’étendue des connaissances du client afin de déterminer s’il était en mesure d’appréhender la documentation bancaire.

En l’espèce, la Cour de justice ne tranche pas la question de la réception effective des documents lors de la signature des accusés de réception. En effet, la cliente a reçu en tout état la documentation par courrier électronique après la discussion téléphonique avec le nouveau chargé de relation. Elle était ainsi, dès cette réception, informée des opérations litigieuses. Vu sa formation et son expérience en matière bancaire, elle pouvait, ou à tout le moins devait, comprendre la portée de ces relevés de compte. Elle a d’ailleurs elle-même affirmé, dans un courriel adressé au nouveau chargé de relation, qu’elle avait examiné de manière minutieuse la documentation remise. Elle a cependant attendu plusieurs mois, après ce dernier courriel, pour contester les opérations litigieuses.

Par conséquent, la cliente a ratifié les opérations litigieuses en recevant effectivement la documentation pertinente qu’elle pouvait et devait comprendre et sans s’y opposer dans le délai de 30 jours. L’appel est ainsi rejeté.

Cet arrêt, qui examine de manière précise la jurisprudence du Tribunal fédéral, est une bonne piqure de rappel de la portée des clauses de réclamation, ainsi que de la méthode à suivre afin de juger de leur validité.

Le tribunal examine d’abord si la documentation a été effectivement remise. Dans la négative, la jurisprudence relative à l’abus de droit s’applique (cf. cdbf.ch/1028/ et références citées). Si les documents ont été remis, le juge constate dans un deuxième temps si le client devait ou pouvait se rendre compte de l’irrégularité des opérations. S’il ne dispose pas des connaissances ou d’expérience suffisantes, la clause de réclamation est inefficace. Dans l’autre hypothèse, le juge vérifie en dernier lieu si le délai d’opposition contractuel, en règle générale 30 jours, a été respecté. S’il n’a pas été respecté, l’abus de droit peut à notre avis encore s’appliquer, bien que de manière plus restrictive par rapport à la situation dans laquelle la documentation n’a pas été remise.