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Dommage bancaire

Fluctuation de la bourse et gain hypothétique

Comment prouver son dommage lorsqu’une banque n’exécute pas l’ordre d’acheter des actions ? L’ATF 147 III 463 (arrêt du Tribunal fédéral 4A_606/2020, destiné à la publication), apporte quelques précisions bienvenues.

Un client demande à sa banque d’acquérir 25’000 actions Twitter au prix de USD 25.- lors de son entrée en bourse, le 7 novembre 2013. La banque confirme le 6 novembre l’achat de ces actions. Néanmoins, le 11 novembre, la banque informe le client qu’elle n’a pas pu acquérir les actions et que la confirmation précédente était erronée.

Le 12 novembre, le client exige de la banque la remise des certificats des actions ainsi qu’une attestation de l’achat des actions. Le 18 novembre, il précise à la banque qu’il n’a pas entrepris d’autres démarches pour obtenir les actions désirées en raison de sa confirmation du 6 novembre. La banque lui répond qu’il aurait été de toute façon trop tard pour acquérir sur le marché primaire les actions Twitter et qu’il n’aurait pu les acquérir qu’à l’ouverture du marché secondaire au prix de USD 45.10. La banque lui explique enfin qu’elle n’a pu obtenir aucune action Twitter car la demande lors de l’IPO a dépassé trente fois l’offre.

Le 31 mars 2014, le client clôture son compte. Il saisit ensuite le Tribunal de première instance genevois afin que la banque soit condamnée principalement à lui remettre les 25’000 actions. Subsidiairement, il demande la différence entre le prix des actions selon l’ordre d’achat (USD 25 par action) et la valeur le 11 novembre (USD 42,90 par action) – lorsqu’il a appris que la banque n’avait pas pu exécuter l’achat requis –, soit USD 447’500.-.

Le cours de l’action Twitter étant entre-temps passé sous USD 25.-, la banque attire expressément l’attention du client sur cette évolution et lui rappelle son obligation de réduire son dommage.

Après le décès du client et la reprise de l’action par ses héritiers, ces derniers retirent la conclusion principale en exécution – la remise des actions – et transforment celle relative aux dommages-intérêts en conclusion principale.

Le Tribunal limite la procédure à la question du dommage. Dans son jugement, il considère notamment que le client n’a pas allégué avoir eu l’intention de vendre ses actions le 11 novembre 2013 ou à une autre date. Il aurait ainsi échoué à prouver son dommage. Subsidiairement, il aurait violé son obligation de diminuer son dommage en n’achetant pas les actions alors que le cours était en dessous de USD 25.- à plusieurs reprises en 2015. Partant, le Tribunal rejette la demande des héritiers.

La Cour de justice les déboute également. D’un point de vue procédural, la Cour considère irrecevables les nouvelles allégations selon lesquelles le client aurait eu l’intention de revendre les actions à court terme. Au fond, la Cour admet que le client aurait subi un dommage s’il avait effectivement procédé à l’achat des actions Twitter sur le marché secondaire lorsqu’il a appris que la banque n’avait pas pu exécuter son ordre. Cela étant, il ne l’a pas fait. Il n’a pas non plus indiqué qu’il aurait revendu les titres le 11 novembre 2013. Partant, il n’aurait pas subi de dommage.

Saisi par les héritiers, le Tribunal fédéral commence par rappeler quelques considérations théoriques sur la notion du dommage.

Le dommage consiste en la diminution involontaire de la fortune nette. Il est en principe déterminé selon la théorie de la différence. Néanmoins, en matière d’opérations boursières, le tribunal peut calculer le dommage selon la perte subie. Pour une vente, celle-ci se détermine au moment où l’opération aurait dû avoir lieu. Pour un ordre d’achat, le dommage consiste en un gain manqué (lucrum cessans).

En l’espèce, le Tribunal fédéral souligne, à l’instar des juridictions genevoises, que le client n’a pas acheté les actions Twitter lorsqu’il a appris que sa banque n’avait pas pu les acquérir. Il n’a pas non plus donné l’ordre de revendre ses actions (qu’il croyait alors avoir). Le client n’a ainsi pas pu prouver un dommage certain, mais uniquement un gain hypothétique et aléatoire.

Partant, en raison de l’absence de dommage, le Tribunal fédéral rejette le recours.

On peut d’abord se demander si le retrait de la conclusion principale, à savoir la remise des actions, était justifié. En effet, si elle avait été maintenue, celle-ci aurait peut-être permis d’éviter la problématique de la preuve (parfois ardue) du dommage bancaire. A notre avis, la conclusion aurait toutefois été valable uniquement à condition que l’on considère que la banque avait une obligation de résultat – remettre les titres au client –, et non de moyen – déployer ses best efforts pour acquérir les actions.

Par ailleurs, on se demande si l’évolution du cours de l’action Twitter a influencé la décision des juges. En effet, le retrait des conclusions principales a eu lieu précisément lorsque le cours de l’action Twitter était au plus bas (moins de USD 17.-). Les demandeurs regrettent peut-être cette démarche, l’action était depuis lors remontée à plus de USD 67.-.

En pratique, il conviendra de conseiller au client, qui se plaint d’une inexécution d’un ordre d’achat, d’acheter les titres visés lorsqu’il découvre qu’il ne les a pas, ou d’informer sa banque qu’il désire les vendre si celle-ci avait bien exécuté l’ordre. Le dommage pourra ainsi être établi.