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Services de paiement

Viktor Vekselberg contre PostFinance

À la suite des sanctions américaines contre la Russie pour son annexion de la Crimée, le Tribunal fédéral examine, dans son arrêt 4A_84/2021, l’étendue des motifs justifiant un refus des services de paiement relevant du service universel de la Poste.

En avril 2018, Viktor Vekselberg, citoyen russe et résident suisse, est inscrit sur la liste des Specially Designated National and Blocked Person (SDN) par l’US Office of Foreign Assets Control (OFAC) dans le cadre des sanctions contre la Russie. Ces sanctions interdisent notamment aux U.S. Persons d’effectuer des transactions avec des SDN ou avec des sociétés contrôlées à plus de 50 % par des SDN.

Le 2 octobre 2018, Viktor Vekselberg envoie à PostFinance une demande d’ouverture d’un compte privé en francs suisses et en euros. La banque donne une suite favorable à cette demande. Le 3 décembre 2018, Viktor Vekselberg reçoit sa carte bancaire. Or, le lendemain, PostFinance l’informe qu’elle met fin à sa relation d’affaires. Dans un courrier du 4 décembre 2018, elle indique que son profil client ne correspond pas à la stratégie de la banque et que son dossier ne permet pas à la banque de se conformer aux exigences de diligence.

Viktor Vekselberg saisit le Tribunal de commerce du canton de Berne afin que sa relation bancaire avec PostFinance soit maintenue. Le 17 novembre 2020, le tribunal bernois rejette sa requête.

Viktor Vekselberg forme alors un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral. Il soutient que le service universel au sens de l’art. 43 al. 1 OPO doit lui être assuré pour le compte en francs suisses.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, conformément à l’art. 32 al. 1 LPO, la Poste assure dans toute la Suisse un service universel par la fourniture de services de paiement. L’art. 43 al. 1 OPO en précise l’étendue. Ces services de paiement comprennent notamment l’exécution de paiements nationaux en francs suisses. En revanche, les paiements transfrontaliers en sont exclus. La Poste peut néanmoins restreindre dans ses conditions générales la fourniture de ces services (art. 32 al. 2 LPO). Les motifs permettant de refuser un client sont exposés exhaustivement à l’art. 45 OPO. En outre, ceux-ci doivent figurer dans les conditions générales de PostFinance.

Le Tribunal fédéral examine ensuite l’ancien art. 45 al. 1 OPO qui s’applique dans le cas d’espèce. Selon cette disposition, seule une contradiction avec des législations nationales ou internationales sur les marchés financiers, sur le blanchiment d’argent ou sur les embargos peut justifier une résiliation de la relation (let. a). Le Tribunal fédéral ajoute en outre qu’une charge disproportionnée ne constitue pas un préjudice juridique ou de réputation au sens de la let. b.

En l’espèce, PostFinance indique dans ses conditions générales que « l’exclusion totale ou partielle d’un client des services susmentionnés est possible notamment (…) si la surveillance des relations clients impose une charge disproportionnée pour PostFinance en vue d’accomplir ses obligations de diligence (…) ». Ce motif justificatif ne ressort pas de la disposition (art. 45 aOPO), mais est déduit de l’ordonnance.

Dans son arrêt, le tribunal bernois retient que le rapport explicatif de 2012 relatif à l’OPO indique expressément que la Poste ne devrait pas être contrainte à nouer des relations clients entraînant par exemple des frais de contrôle de la relation injustifiés. Le rapport explicatif de 2020 relatif à la révision partielle de l’OPO précise, quant à lui, ce qu’il faut entendre par charge disproportionnée. PostFinance serait donc en droit de faire valoir une exception à son obligation de contracter, alors même que ce motif n’est pas expressément prévu dans l’art. 45 aOPO.

Cela étant, pour le Tribunal fédéral, une telle solution contrevient aux principes d’interprétation de la norme. D’une part, l’interprétation littérale de la disposition ne permet pas de faire valoir un tel motif d’exclusion. D’autre part, la systématique et le but de la loi ne donnent aucun indice permettant de s’écarter de la lettre de la disposition qui est claire à ce sujet. En outre, il ne ressort pas de l’interprétation historique que le législateur ait voulu prévoir d’autres motifs que ceux indiqués dans la disposition.

Bien que Viktor Vekselberg n’ait pas contesté l’applicabilité du motif d’exception, le Tribunal fédéral relève que le bien-fondé de cette exception est une question de droit. Dès lors, il conclut que la résiliation opérée par PostFinance n’est pas admissible au regard de l’art. 45 aOPO.

Dans l’intervalle, cette disposition a été révisée et prévoit que PostFinance peut refuser un client « (…) si le respect de la présente législation entraîne des charges disproportionnellement élevées pour [PostFinance] ». Comme le rappelle le Tribunal fédéral, la nouvelle teneur de l’art. 45 al. 1 let. a OPO n’est pas applicable rétroactivement. Ainsi, PostFinance doit se conformer à son obligation de contracter, car elle n’était pas en droit de faire valoir un tel motif au moment de la résiliation, à savoir le 4 décembre 2018. Cependant, le Tribunal fédéral note que la banque peut procéder à une nouvelle résiliation. Son admissibilité devra être examinée, le cas échéant, à la lumière de la disposition révisée.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours en précisant que la relation bancaire doit être maintenue dans le cadre du service universel.

Notre Haute Cour laisse néanmoins la question ouverte de savoir si l’actuel art. 45 al. 1 let. a OPO constitue une base légale suffisante, et à quelles conditions PostFinance pourrait faire valoir des charges disproportionnellement élevées comme motif de refus. À notre avis, les conditions générales jouent un rôle essentiel pour évaluer l’admissibilité d’une résiliation fondée sur ce motif.