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Fonds de placement

Délégation de tâches à un gestionnaire externe et contrat de travail

Dans les arrêts 4A 365/2021, 4A 366/2021, 4A_367/2021 et 4A 368/2021,  le Tribunal fédéral s’intéresse à la relation contractuelle entre une société de gestion d’actifs et des gestionnaires externes : celle-ci sera in casu qualifiée de contrat de travail, malgré la tentative de l’employeur de lui attribuer une appréciation différente sous l’angle de la délégation de tâches.

Quatre gestionnaires approchent une société de gestion d’actifs en vue d’un accord de collaboration visant la création et la gestion d’un fonds de placement. La société bénéficie d’une autorisation de la FINMA pour gérer et représenter des fonds de placement.

A cet effet, les gestionnaires concluent chacun un contrat avec la société intitulé « Employment contract » selon lequel ces derniers sont engagés en qualité de « Portfolio Manager », respectivement « Business Developer ». Les contrats contiennent toute une série de clauses habituelles à un contrat de travail (obligations de diligence et de fidélité, temps de travail, taux d’occupation, vacances, etc.).

Les contrats prévoient également un salaire et un bonus, leur montant n’étant toutefois pas déterminé. Il est précisé à ce sujet qu’aucune rémunération ne sera « pour l’instant » versée aux gestionnaires. Les contrats prévoient finalement que tous les frais en rapport avec la création et la gestion du fonds sont à la charge des gestionnaires.

La société de gestion loue des locaux qui seront spécifiquement affectés à l’administration du fonds. Les gestionnaires reçoivent une carte de visite portant le logo de la société et disposent d’une adresse électronique professionnelle au nom de celle-ci. Ils sont par ailleurs présentés à l’interne comme de nouveaux employés de la société.

Le fonds est créé en mai 2016. Le succès escompté n’est toutefois pas au rendez-vous. La société exige des gestionnaires qu’ils lèvent plus d’investissements, faute de quoi elle mettra le fonds en dormance. En parallèle, les gestionnaires ne perçoivent encore aucune rémunération.

Le fonds ne comptant toujours pas suffisamment d’investisseurs, la société licencie les gestionnaires en février 2017 et leur réclame le remboursement des frais supportés en lien avec l’administration du fonds (notamment frais de locations des bureaux, frais informatiques, etc.). La société fait valoir que les contrats correspondaient en réalité à une délégation de tâches au sens de l’art. 18b al. 1 LPCC, permettant aux gestionnaires d’exploiter leur fonds en bénéficiant de sa licence FINMA. Contrairement à l’intitulé des contrats, aucune relation de travail ne lierait dès lors les parties.

Les gestionnaires réclament quant à eux le paiement de leur salaire pour la durée de la relation de travail. Ils s’opposent par ailleurs au remboursement des frais, arguant que la clause du contrat prévoyant que la prise en charge desdits frais leur incombe est nulle au regard de l’art. 327a al. 3 CO.

Sur la base d’une interprétation subjective du contrat (art. 18 al. 1 CO), la Cour de justice genevoise était parvenue à la conclusion que les parties avaient la réelle et commune intention de conclure un contrat de travail. Le Tribunal fédéral va cela étant encore vérifier que les éléments essentiels d’un contrat de travail étaient réunis in casu, soit (i) une prestation de travail, (ii) un élément de durée, (iii) un rapport de subordination et (iv) une rémunération. La société de gestion avançait notamment que le rapport de subordination faisait défaut.

En l’espèce, la société s’était occupée des démarches de location des bureaux et de l’obtention d’un permis de travail pour l’un des gestionnaires. Elle s’était aussi impliquée dans la recherche d’investisseurs. En outre, les gestionnaires avaient contractuellement renoncé à exercer d’autres activités lucratives, de sorte qu’ils étaient économiquement dépendants de la société. Par conséquent, il existait un lien de subordination organisationnel entre les parties, bien que les gestionnaires disposaient d’une certaine indépendance dans l’administration du fonds.

Le Tribunal fédéral juge donc que c’est à bon droit que la Cour de justice genevoise avait qualifié le contrat litigieux de contrat de travail.

Cet arrêt du Tribunal fédéral rappelle que le critère du lien de subordination doit être relativisé s’agissant notamment des personnes ayant des fonctions dirigeantes. Selon le modèle d’affaires choisi, un simple lien de subordination organisationnel peut suffire à fonder une relation de travail. Dans l’arrêt attaqué CAPH/106/2021, la Cour de justice genevoise précise par ailleurs que la délégation de tâches – telle qu’elle était prévue à l’art. 18b LPCC – ne nécessitait pas la conclusion d’un contrat de travail et pouvait dès lors revêtir la forme d’autres types de contrat. Cette délégation est à présent régie – notamment – par l’art. 14 LEFin, mais rien ne laisse supposer que cette liberté quant au choix du type de contrat a été altérée. Lors de la conclusion d’un tel contrat de délégation de tâches, il appartient dès lors aux parties de porter une attention particulière au choix de la qualification juridique souhaitée. Le rapport concret entre les cocontractants devra ensuite bien entendu refléter le texte du contrat, au risque d’une qualification s’écartant du sens littéral dans le cas contraire.