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Responsabilité de la banque

Trading électronique sur forex avec effet de levier

Le Tribunal fédéral a confirmé dans un arrêt du 21 avril 2022 (4A_412/2021) un jugement rendu par le Tribunal cantonal du canton de Vaud qui déboute un client de son action contre une banque concernant des transactions forex avec un effet de levier très élevé (1:100) ayant causé des pertes suite à l’abandon du taux plancher CHF/EUR le 15 janvier 2015.

Le litige s’articule principalement autour des quatre axes suivants.

    I. La qualification de la relation contractuelle

Le client fait grief à la banque de ne pas lui avoir fait signer un contrat e-Forex, dont elle aurait pourtant expliqué à la FINMA qu’il était une condition nécessaire à l’accès à ses plateformes Forex. Le contrat e-Forex concernait en fait une autre plateforme que celle utilisée par le client. Or, il n’avait pas démontré qu’un tel contrat fût indispensable pour accéder à cette dernière.

Le recourant reprochait de ne pas avoir bénéficié de la précision apportée par le contrat e-Forex, selon laquelle la banque agissait en tant que contrepartie du client et, partant, comme fournisseur de liquidités plutôt que comme commissionnaire. Le Tribunal fédéral relève que le client n’a pas allégué ni établi que la banque aurait été chargée d’agir en son propre nom mais pour son compte à lui. Sur cette base, notre Haute Cour confirme que les transactions sur devises représentaient des contrats de vente.

    II. Le devoir d’information

La Chambre patrimoniale a considéré que vu la relation de simple dépôt et contrats de vente, la banque n’avait envers lui qu’un devoir d’information restreint, limité à la bonne foi (art. 2 CC).

Le Tribunal fédéral considère que la banque avait clairement et suffisamment mis en garde le client – épaulé par un gestionnaire indépendant – quant au fonctionnement des ordres stop-loss et aux risques inhérents à l’effet de levier. Il exclut l’application de l’art. 11 LBVM, sur lequel se basait le client pour arguer d’un devoir d’information plus étendu. La doctrine soutient que la LBVM ne s’appliquait en matière de devises qu’aux instruments dérivés et non aux opérations au comptant sur devises. Le client ne prétendant pas que les transactions forex litigieuses concernaient des produits dérivés, le Tribunal fédéral ne se prononce pas. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’étendue du devoir d’information ancré à l’art. 11 LBVM dépend de l’expérience et de la connaissance du client. Il impute au client celles de son gérant indépendant – lequel avait identifié les risques afférents au trading sur devises avec levier – et considère qu’il n’avait pas à être informé de ce risque.

    III. La liquidation sans consulter le client 

Les conditions générales stipulaient que dans certaines conditions de marché, le fait de prévoir un ordre à seuil de déclenchement (stop-loss) ne permettait pas forcément de limiter les pertes aux montants prévus. Le client contestait le droit de la banque de liquider ses positions sans le consulter en se référant à la clause d’appel de marge. Le Tribunal fédéral rappelle que la marge est destinée à protéger le risque de la banque en cas d’insolvabilité du client. Il s’agit d’une problématique distincte de celle de savoir à quel moment devait être exécuté l’ordre stop-loss, respectivement si la banque engageait sa responsabilité pour les pertes liées à l’exécution tardive de cet ordre.

Les Tribunaux jugent que la banque pouvait se prévaloir d’une situation spéciale prévue dans ses conditions générales justifiant de suspendre le négoce des devises, puis de liquider la position à un taux inférieur au stop-loss. Après l’annonce de la BNS, il n’existait quasi plus de liquidités sur le marché. Il était légitime d’interrompre le système durant 54 minutes, puis d’effectuer la liquidation des ordres stop-loss, qui étaient des ordres « au mieux ».

    IV. La thèse d’une manipulation frauduleuse de la banque 

Selon le client, la banque aurait manipulé des ordres stop-loss. Dans le quart d’heure précédant l’annonce de la BNS le 15 janvier 2015 à 10h30, la banque aurait fixé manuellement dans son système interne un cours à CHF 1.19547 pour 1 EUR, alors qu’il gravitait aux alentours de CHF 1.20 sur les marchés. Cette manipulation aurait déclenché les ordres stop-loss (dont celui du client) fixés à CHF 1.196 pour EUR 1. La banque aurait alors manuellement empêché l’exécution des ordres, espérant revendre plus tard ces positions avec un profit.

Les Tribunaux excluent l’hypothèse d’une manipulation au motif qu’elle n’a pas été prouvée, le client renvoyant en vrac au témoignage de son gestionnaire (écarté au motif qu’il avait un intérêt à l’issue du litige) ainsi qu’à trois pièces volumineuses (difficilement lisibles et insuffisantes pour corroborer la thèse de manipulation).

Le Tribunal fédéral considère que l’on ignore la possible suite donnée par la FINMA au courrier du client lui exposant ses soupçons. Les juges fédéraux soulignent finalement qu’il restait au client la possibilité de mettre en œuvre une expertise judiciaire, qu’il n’a pas utilisée.

Cette décision est en ligne avec la jurisprudence ancienne (4C.152/2002) et le droit suisse actuel ne protégeant pas les clients de détail d’un levier fixé par défaut à 1:100 (au contraire de la réglementation européenne pour certains produits). Au-delà de cet aspect du ressort du législateur, le jugement est justifié par le fait que le forex est un instrument financier simple et transparent par rapport au coût (si le spread est divulgué) avec des risques facilement appréhendables pour l’investisseur qui dispose de toutes les informations pour son évaluation (levier, marge et cours), à la différence des produits OTC structurés par les banques. Pour ceux-ci, le Tribunal fédéral considère que la banque est un commissionnaire qui se porte lui-même contrepartie (art. 436 CO). Elle est tenue à un devoir de fidélité lui interdisant de réaliser un profit illicite (4A_547/2012).