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Licenciement d’un cadre supérieur

À qui la faute ?

D’un côté, le chef du desk US qui incite son employé, cadre supérieur, à prospecter des clients américains, malgré des règles internes contraires. De l’autre, ce cadre qui est formé et informé des risques liés aux US Person, mais qui continue de voyager aux États-Unis afin de rencontrer de potentiels clients.

À la suite d’une procédure d’instruction de près de quatre ans, qui a porté sur des milliers d’allégués avec l’audition de près de quarante témoins, le Tribunal fédéral soupèse les manquements de part et d’autre et tranche en équité en défaveur de l’employé (4A_479/2020, arrêt rendu à cinq juges).

Dès 1999, une banque suisse commence à prendre des mesures afin de mettre sa clientèle américaine en conformité avec les lois de ce pays. Elle édicte notamment une série de règlementation contre l’évasion fiscale et met en place une directive whistleblowing obligeant les employés à dénoncer les comportements inadéquats, de manière anonyme et confidentielle.

L’employé, qui dirige la section genevoise du desk US sous la supervision du chef du département, reçoit plusieurs formations sur la nouvelle règlementation liée aux US Person. Malgré les directives internes interdisant d’aller aux États-Unis pour rendre visite à des clients potentiels, le supérieur direct de l’employé l’incite à voyager aux États-Unis pour y rencontrer des clients potentiels.

En septembre 2008, quelques mois après l’inculpation aux États-Unis de Bradley Birkenfeld, la banque durcit encore ses règles et limite son activité depuis la Suisse concernant les clients américains. En 2011, l’employé genevois, ainsi que son supérieur, se retrouvent également inculpés aux États-Unis. La banque le libère alors de son obligation de travailler, mais maintient son salaire et assume ses frais de procès aux États-Unis jusqu’à son licenciement en 2014, auquel l’employé fait opposition.

L’employé saisit le Tribunal des prud’hommes genevois afin d’obtenir des indemnités pour notamment licenciement abusif, tort moral et frais futurs liés au procès aux États-Unis. Le Tribunal reconnaît tant un licenciement abusif qu’une atteinte à sa personnalité. Il condamne la banque à lui payer CHF 4’383’305.- ainsi qu’à prendre en charge tous les futurs frais liés à la procédure américaine.

La banque dépose un appel auprès de la Cour de justice. Celle-ci déboute entièrement l’employé. Elle considère que l’incitation à violer les règles internes ne venait pas de la direction générale et que celle-ci ne connaissait pas un tel comportement. Au contraire, la banque a dispensé des formations internes et a informé les employés des règles applicables. Elle n’a ainsi ni violé la personnalité de l’employé ni licencié de manière abusive. L’employé attaque cette décision auprès du Tribunal fédéral.

Conformément à l’art. 328 CO, l’employeur doit protéger la personnalité de l’employé. Si l’employeur est une personne morale, sa responsabilité est engagée du fait soit de ses organes – formels, matériels ou apparents (art. 55 al. 2 CC) – soit de ses auxiliaires (art. 101 al. 1 CO), par exemple un supérieur hiérarchique.

In casu, l’employé n’a pas réussi à prouver que les comportements reprochés à la banque provenaient de ses organes. Cela étant, il est prouvé, rapport FINMA à l’appui, que son supérieur hiérarchique l’a incité à violer les règlementations applicables. La banque n’a d’ailleurs ni mis en place une surveillance efficace, ni adapté les objectifs de ses gestionnaires au regard de sa nouvelle règlementation. Elle peut ainsi voir sa responsabilité engagée du fait de son auxiliaire.

Encore faut-il que la violation reprochée soit la cause naturelle et adéquate du dommage invoqué. Le Tribunal fédéral souligne que, pour déterminer la causalité adéquate, « le juge doit sélectionner, dans la chaîne des causes (condiciones), celle(s) qui revête(nt) un caractère prépondérant, une certaine typicité. Il opère ainsi un jugement de valeur et détermine s’il est encore équitable (art. 4 CC) de faire supporter une responsabilité au défendeur ».

En l’espèce, le Tribunal fédéral reproche à l’employé d’avoir sciemment violé les directives internes par appât du gain. Il n’était pas « pieds et poings liés à son poste », mais un cadre supérieur « rompu au système », ayant lui-même la responsabilité de subordonnés et ayant été informé de la problématique spécifique aux États-Unis. Même si la banque a réalisé d’importants bénéfices grâce à ces violations, elle a rémunéré en conséquence l’employé et a également payé ses frais de défense ainsi que maintenu son salaire pendant quelques trois ans et demi après qu’il a été libéré de travailler.

La faute de l’employé est ainsi « nettement plus importante » que celle de la banque, au point de reléguer cette dernière à l’arrière-plan. Le Tribunal fédéral retient donc, en équité, une rupture de la causalité adéquate.

Après avoir dénié le caractère abusif du congé, le Tribunal fédéral considère brièvement que l’employé ne peut pas non plus prétendre aux remboursements de ses futurs frais liés à la procédure américaine. En effet, l’application de l’art. 327a CO suppose que l’activité de l’employé ait été conforme au contrat. Or le Tribunal fédéral laisse entendre que tel ne fut pas le cas.

Partant, le recours de l’employé est rejeté.

Même si l’arrêt est relativement bref sur cet aspect, le praticien retiendra que la banque peut voir sa responsabilité engagée du simple fait de son auxiliaire (responsabilité du fait d’autrui, 101 CO), même lorsque ce dernier a violé les instructions de la banque.

Cela étant, le Tribunal fédéral reproche également à la banque (responsabilité propre au sens de 55 II CC ?) de n’avoir in casu pas surveillé l’application de ses nouvelles directives et d’avoir maintenu un système de rémunération qui n’incitait pas au respect de celles-ci. On sent ainsi un reproche direct contre les organes de la banque, et non uniquement contre le supérieur hiérarchique qui était l’auxiliaire de la banque.